Kelly Dittmar : les femmes « exigent cette année que leur voix soit entendue » au Congrès
Kelly Dittmar : les femmes « exigent cette année que leur voix soit entendue » au Congrès
Par Pierre Bouvier
La saison des primaires s’est terminée sur un record : 257 femmes ont décroché une investiture pour le Congrès pour les élections de mi-mandat. Cette vague n’est pas sans rappeler l’année 1992, restée dans les mémoires comme « l’année des femmes ».
Kelly Dittmar est enseignante en sciences politiques à l’université Rutgers (New Jersey) et chercheuse au Center for American Women and Politics de l’Institut de politique Eagleton, à l’université Rutgers. Elle a écrit avec Kira Sanbonmatsu et Susan J. Carroll le livre A Seat at the Table : Congresswomen’s Perspectives on Why Their Presence Matters (New York, NY : Oxford University Press, non traduit) et analyse la « vague rose » attendue au Congrès pour les élections de mi-mandat du 6 novembre, alors qu’un nombre record de 257 femmes ont obtenu leur investiture.
Comment expliquer le nombre record de candidates en lice pour les élections de mi-mandat ?
Kelly Dittmar : Les femmes se présentent aux élections pour tout un tas de raisons. Mais dans le camp démocrate, où les candidatures féminines ont connu la plus forte augmentation, il semble que le résultat des élections de 2016 — Donald Trump élu à la présidence, le Congrès restant aux mains des républicains — ait suscité un sentiment d’urgence accru.
Nombre de candidates démocrates, en particulier les nouvelles venues, ont interprété la victoire de Donald Trump et la concentration des pouvoirs exécutif et législatif aux mains des républicains comme les risques d’un retour en arrière sur des progrès accomplis dans les domaines de la santé ou de l’environnement au cours des huit précédentes années.
Est-ce en lien avec les marches des femmes en janvier 2017, le mouvement #MeToo et l’attitude de Donald Trump envers les femmes ?
Chez certaines, ces préoccupations se sont traduites par de l’activisme — on l’a vu lors de la marche des femmes en janvier 2017 — et chez d’autres par une candidature à une fonction élective. Dans un cas comme dans l’autre, ces femmes exigent que cette année leurs voix soient entendues dans des espaces où le pouvoir est détenu et exercé.
La vague #MeToo n’a fait que renforcer cette tendance et a conforté l’idée selon laquelle l’absence de parité dans nos institutions est un problème qui doit être pris à bras-le-corps. L’élection d’un plus grand nombre de femmes lors des midterms constitue une solution.
Comment expliquez-vous qu’il y ait moins de candidates chez les républicains que chez les démocrates ?
La mobilisation chez les démocrates — hommes et femmes — en 2018 est en partie liée au fait qu’ils ne sont pas au pouvoir. Un tel regain d’enthousiasme est courant de la part du parti qui est dans l’opposition. Mais qu’il y ait davantage de candidates et de sortantes chez les démocrates que chez les républicains n’est pas une nouveauté.
Cela tient notamment à la différence entre les infrastructures de soutien aux candidatures féminines mises en place par les démocrates et par les républicains. Chez les démocrates, cette infrastructure [organismes de recrutement et de formation, de financement, comme la liste Emily, ou Emily’s List, comité d’action politique fondé en 1984 par vingt-cinq femmes pour aider à l’élection de femmes progressistes et « prochoix »] est beaucoup plus développée. On attend de ce parti qu’il soit plus inclusif en matière de genre et de race, c’est un élément clé de son identité, et parce que sa base électorale est beaucoup plus diversifiée, reposant notamment sur une majorité de femmes.
De son côté, le Parti républicain tourne en dérision ce qu’il perçoit comme une « politique identitaire », ce qui le met dans l’impossibilité de faire des efforts ciblés pour recruter et soutenir des candidates.
Peut-on prédire une « vague rose » ? Toutes les femmes qui ont décroché une investiture seront-elles élues au Congrès ?
Un nombre record de femmes s’est présenté aux primaires et a remporté des investitures cette année, mais le chemin pour parvenir à la parité après les élections de 2018 est encore long.
Au Congrès, par exemple, il est peu probable que les femmes atteignent ou dépassent la barre de 25 % de la représentation, en grande partie parce qu’il y avait moins de candidates que de candidats. Une autre raison importante est que nombre de candidates se présentent dans des circonscriptions qui favorisent fortement leurs adversaires en raison de leur position de candidat sortant et/ou à cause du « gerrymandering » (technique de « charcutage » électoral, consistant à redécouper les circonscriptions pour donner l’avantage à un parti ou à son candidat).
C’est pourquoi, cette année, pour évaluer le succès des femmes en politique, il faudra aller au-delà des chiffres. Il est certain que nous verrons les femmes progresser et franchir des caps décisifs. Mais celles qui se présentent cette année aux élections vont aussi complètement remettre en question les normes de la vie politique américaine en influençant, pour les années à venir, l’idée que nous nous faisons collectivement de qui peut et devrait diriger. Il est fort possible que leur candidature ait cet impact, qu’elles gagnent ou perdent en novembre.