Monsieur le Président,

Sourire en coin, vos propos le 1er juin dans le Morbihan au sujet des « kwassa-kwassa [bateau long à fond plat] qui pêchent plus du comorien que du poisson » ont indigné les Comoriens et plus largement tous les humanistes de la terre.

Depuis l’instauration en janvier 1995 du visa Balladur, qui a supprimé la liberté de circuler entre Mayotte et le reste de l’archipel des Comores et qui est quasiment impossible à obtenir pour n’importe quel Comorien, plus de 10 000 personnes [entre 7 000 et 10 000 selon un rapport sénatorial établi en 2012] ont péri lorsque les frêles kwassa-kwassa ont chaviré au milieu de l’océan Indien.

Décompte macabre

Au palmarès macabre du nombre de migrants morts noyés, le bras de mer qui sépare les trois îles sœurs (Anjouan, Grande-Comore et Moheli) de Mayotte, restée française, le dispute à la Méditerranée. Et la responsabilité du pays dont vous avez la charge depuis le 7 mai est immense dans ce tragique décompte.

Vous vous êtes entretenu hier par téléphone avec votre homologue comorien Assoumani Azali afin de « travailler dans un esprit d’apaisement et de confiance mutuelle » et on ne peut que s’en féliciter. Car vous dirigez aujourd’hui un pays où vivent plus de 200 000 Comoriens, alors que la population de mon archipel ne compte que 800 000 habitants.

Contrairement à vos prédécesseurs à l’Elysée, vous n’étiez pas né lorsque les Comores ont accédé à leur souveraineté le 6 juillet 1975. Vous ne faites donc pas partie de ceux qui, consciemment, ont transformé un archipel jadis uni par la langue, l’Histoire, la religion et la culture, en un pays aujourd’hui découpé et fragmenté.

Relation étroite et de confiance

Oui, la France est en partie responsable du drame qui se joue aujourd’hui dans le canal du Mozambique. Les accords signés le 15 juin 1973 entre le gouvernement français et le territoire des Comores précisaient que l’application de l’indépendance se ferait sur l’ensemble de l’archipel et donc avec les quatre îles qui le composent. Le but de ces accords était alors de donner aux Comores une forme de souveraineté « associée » avec la France, basée sur une relation étroite et de confiance entre les deux pays.

Deux ans plus tard, le 6 juillet 1975, Ahmed Abdallah, président du Conseil de gouvernement, a finalement déclaré cette indépendance, mais de façon unilatérale et immédiate. Mayotte, qui s’était alors prononcée un an plus tôt par référendum pour rester au sein de la République française, est donc restée dans le giron du pays colonial qui souhaitait la conserver pour des raisons notamment géostratégiques.

Cette île, devenue département français en 2011, a ensuite été l’objet d’un contentieux, non seulement avec l’Etat comorien mais aussi avec l’ONU et l’Union africaine. Personne ne peut oublier que, pour sa politique comorienne, la France a été régulièrement condamnée par l’Assemblée générale des Nations unies.

Monsieur, le Président, vous avez été élu parce que vous incarnez une certaine jeunesse, un autre avenir pour la France et une autre façon de faire de la politique. Les Comores et les Comoriens de France, qui ont participé massivement à votre élection, sont donc en droit d’attendre de votre part une analyse censée, faite de pudeur et de respect. Et oublier au plus vite cette plaisanterie cynique sur un bateau qui fait chaque année des milliers de morts.

Hachim Saïd Hassane est président de la Fondation des Comores et ancien candidat à la présidentielle comorienne.