« Un amour impossible » : Catherine Corsini au plus près des maux d’Angot
« Un amour impossible » : Catherine Corsini au plus près des maux d’Angot
Par Thomas Sotinel
La cinéaste adapte avec subtilité l’autofiction de la romancière, avec Virginie Efira et Niels Schneider.
Comment extraire un film d’un texte aussi dense et compact que Un amour impossible (Flammarion, 2015) ? Christine Angot laisse si peu de place entre la mémoire et la fiction, ses mots adhèrent si fortement à la réalité, qu’un ou une cinéaste aurait pu être tenté par une extrême stylisation. Catherine Corsini a préféré faire confiance aux outils traditionnels du cinéma : les visages connus et reconnus, les artifices des costumes et du maquillage. Ce choix, qui – ainsi énoncé – pourrait passer pour un renoncement, se révèle à l’écran comme une audace esthétique, payante, qui plus est. Un amour impossible, le film, trouve à la fois un chemin qui lui est propre – celui d’une émotion directe, sans retenue, qui passe par le travail impressionnant des interprètes – tout en suivant celui qu’avait tracé l’écrivaine, l’inscription d’une histoire individuelle dans le paysage inquiétant d’un système de domination hypocrite et omnipotent.
Comme le roman, le film de Catherine Corsini s’écoule tumultueusement sur plus d’un demi-siècle, de la rencontre entre Rachel (Virginie Efira) et Philippe (Niels Schneider), la mère et le père de la narratrice, jusqu’à l’ultime confrontation entre les deux femmes, l’enfant violée et la mère aveuglée. Entre les deux, il y aura une histoire d’amour, la chronique d’une libération inachevée, la commission et la révélation d’un crime.
En écrivant le scénario, Catherine Corsini et Laurette Polmanss ont retiré aux protagonistes les patronymes et prénoms de la réalité qu’avait conservés Christine Angot. Christine est devenue Chantal ; Pierre, Philippe. Seule Rachel est restée Rachel. Comment priver cette figure de ce nom, seul héritage d’un père juif absent ? Lorsque le film commence, scandé par la voix off d’une jeune fille qui parle de sa mère, secrétaire à Châteauroux, célibataire qui vient de « coiffer la sainte Catherine » comme c’était encore l’usage en ces premières années de la Ve République pour les femmes qui n’étaient pas encore mariées à 25 ans, il prend un moment le rythme d’une chronique nuancée de nostalgie.
Virginie Efira, force radieuse
Jusqu’à ce que l’amoureux de la mère, Philippe, intellectuel momentanément échoué dans les environs de la base américaine, prononce, à propos de Rachel, le mot « hébraïque ». C’est peut-être là que le combat s’engage entre le jeune homme issu de la bourgeoisie parisienne et l’employée provinciale. En ce moment où – sous le couvert de l’érudition – l’homme laisse poindre l’antisémitisme de sa classe, où la femme amoureuse choisit de ne pas entendre l’intonation discrètement haineuse qu’il donne à l’adjectif.
On sait alors que l’arrangement qu’a trouvé Catherine Corsini entre sa propre mémoire de femme, son scénario, ses acteurs, sa manière de cinéaste, portera Un amour impossible jusqu’à sa destination. Même si l’on a lu le livre, si l’on sait la tragédie qui en forme le noyau, le récit de la liaison entre Philippe et Chantal donne un moment l’illusion d’un thriller. Virginie Efira donne une force radieuse à son personnage, mais aussi un aveuglement fragile qui lui fait ignorer la toxicité qui se dissimule sous le charme de son amant. Niels Schneider distille ce poison implacablement.
Dans le même mouvement, presque incidemment, le paysage change, la vieille maison entre ville et campagne est abandonnée pour un HLM ; après 1968, Rachel travaille un temps dans un hôpital psychiatrique qui tourne le dos aux vieilles thérapies.
Si ce n’était qu’une histoire, on pourrait espérer que l’héroïne va échapper au prédateur, que les mutations du monde vont la porter jusqu’à la libération, à l’autonomie. Il s’agit d’autre chose ici. Adolescente, Chantal (désormais interprétée par Estelle Lescure, porteuse de toute la violence de cet âge) renoue avec son père, et cette proximité – dont la nature n’est pas immédiatement nommée – ouvre une faille entre les deux femmes, jusqu’à ce que la révélation du crime déclenche un cataclysme aux retombées sans fin.
Cette dernière partie du film s’étend sur des décennies. Elle place sur le chemin de la cinéaste des obstacles colossaux, qui tiennent à la difficulté de faire croire au passage du temps sur les visages et les corps, de faire sentir la douleur des disparitions et des épreuves lorsqu’on les évoque en un plan. Le texte de Christine Angot se termine par un dialogue qui est aussi un manifeste : la dénonciation d’un crime privé, intime, comme manifestation d’un système. Il incombe à Virginie Efira, qui, à ce moment, est censée jouer une octogénaire, et à Jehnny Beth, alter ego de l’écrivaine, qui a à peine eu le temps d’installer son personnage, de porter cette conclusion. Et cette conclusion exprime parfaitement l’autre dimension de ce film que ses affiches et sa bande-annonce veulent faire passer pour un simple mélodrame : celle de la colère, de la lucidité et de l’intelligence.
UN AMOUR IMPOSSIBLE : BANDE ANNONCE
Durée : 02:08
Film français de Catherine Corsini. Avec Virginie Efira, Niels Schneider, Estelle Lescure, Jehnny Beth (2 h 15). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/un-amour-impossible