Trump et l’armée, une relation compliquée
Trump et l’armée, une relation compliquée
Le président américain s’est présenté comme la personne « la plus militariste qui soit » mais a, à de nombreuses occasions, froissé la susceptibilité des militaires.
Le président Donald Trump au cimetière militaire américain de Suresnes, le 11 novembre 2018. / CHRISTIAN HARTMANN / AFP
La relation de Donald Trump avec la chose militaire est compliquée. En 1968, au plus fort de la guerre du Vietnam, le jeune Donald âgé de 22 ans parvient à échapper à la conscription, alors que 300 000 jeunes Américains y étaient appelés, écrivait le New York Times avant qu’il ne soit élu président. En 2015, le même individu clamait son amour pour l’uniforme, se présentant, lors de l’émission « Face The Nation » de CBS, comme la personne « la plus militariste qui soit ».
Trump: I am the most militaristic person on your show
Durée : 03:47
Arrivé à la Maison Blanche, il s’entoure d’une brochette de généraux (Michael T. Flynn, John Kelly, James Mattis et H.R. McMaster), quitte à les congédier quand ils sont rattrapés par la justice ou ne font plus l’affaire. N’empêche, depuis qu’il est entré en fonction, il n’a de cesse de brosser les militaires dans le sens du poil, leur promettant une « hausse historique » du budget de la défense pour répondre aux menaces d’un monde « dangereux ». En visite à Paris le week-end du 11 novembre, il leur a, à nouveau, envoyé une série de signaux contradictoires.
Donald Trump confond 14-Juillet et 11-Novembre
Revenu des paillettes plein les yeux du défilé du 14 juillet 2017 sur les Champs-Elysées, à Paris, il s’est mis en tête d’organiser la même chose à Washington, en mieux. Las, la municipalité de Washington n’a pas donné suite, et en août 2018, le président s’est fendu d’une série de tweets rageurs, annonçant, in fine, qu’il se rendrait à Paris, pour les cérémonies du 11-Novembre, espérant assister à un nouveau défilé.
....attend the big parade already scheduled at Andrews Air Force Base on a different date, & go to the Paris parade… https://t.co/75YwMLArvE
— realDonaldTrump (@Donald J. Trump)
Mais le 11-Novembre marque la fin du premier conflit mondial et rappelle surtout le sacrifice de millions de jeunes gens, ce qui n’en fait pas un événement particulièrement festif, les cérémonies se terminant invariablement par la sonnerie aux morts.
A Paris, l’agenda de Donald Trump président prévoyait, samedi, une visite au cimetière américain du Bois Belleau, où sont enterrés plus de 2 000 soldats américains. Elle a été annulée en raison du mauvais temps et le président est resté enfermé dans l’ambassade des Etats-Unis. John Kelly, le secrétaire général de la Maison blanche, et le général Joseph Dunford, le chef d’état-major des armées des Etats-Unis, tous deux membres des marines, se sont rendus à Bois Belleau.
John Kelly et le général Joseph Dunford, à Bois Belleau, le 10 novembre 2018. / Francois Mori / AP
Parce que, pour les marines, la bataille du Bois Belleau (du 1er au 26 juin 1918), c’est un peu l’événement fondateur. C’est de là que découle leur réputation d’unité d’élite ; c’est là qu’ils auraient gagné leur surnom de « chiens du diable ». Chaque année, ils y envoient une délégation pour le Memorial Day (hommage aux membres des Forces armées des Etats-Unis morts au combat, toutes guerres confondues), ainsi que pour le 4-Juillet, jour de fête nationale.
Messieurs les Anglais, tirez les premiers
La première salve de sarcasmes contre le président est venue du député britannique Nicholas Soames, petit-fils de Winston Churchill, qui a évoqué les marines tombés en 1918 :
« Ils sont morts le visage tourné vers l’ennemi et ce pathétique et incompétent @realDonaldTrump n’a même pas pu défier le temps pour présenter ses respects à Ceux qui sont tombés #ilnestpasdignederepresentersonpays »
Chez les Américains, l’ancien combattant du Vietnam – et ancien secrétaire d’Etat et candidat à l’élection présidentielle de 2004 – John Kerry a pris la balle au vol :
« Le président (…) n’est pas venu à cause de quelques gouttes de pluie ? Ces vétérans que le président n’a pas pris la peine d’honorer ont combattu sous la pluie, dans la boue, dans la neige – et beaucoup sont morts dans les tranchées pour la cause de la liberté. La pluie ne les a pas arrêtés et elle n’aurait pas dû arrêter un président américain. »
Ben Rhodes, ancien de l’équipe Obama, qui a travaillé sur les voyages du président démocrate pendant huit ans, s’est étonné sur Twitter, rappelant qu’un plan B en cas de pluie est « toujours » prévu.
I helped plan all of President Obama’s trips for 8 years. There is always a rain option. Always. https://t.co/exZNlONQOp
— brhodes (@Ben Rhodes)
Qu’importe si, dimanche en fin d’après-midi, avant de prendre Air Force One pour rentrer à Washington, Donald Trump a assisté à une courte cérémonie au cimetière américain de Suresnes, où sont enterrés 1 541 soldats américains : le mal était fait.
Et la polémique ne s’est pas éteinte avec le week-end. Lundi, l’armée française a publié un tweet énigmatique, repris par toute la presse internationale :
#MondayMotivation Il y a de la pluie, mais c'est pas grave 😅 On reste motivé 👊 https://t.co/29hOJ9ITF0
— armeedeterre (@Armée de Terre)
Pour couper court aux conjectures, la grande muette a tenu à préciser quelques heures plus tard :
« Désolé pour ceux qui ont cru l’interpréter, mais aucune allusion n’était à percevoir derrière cette activité habituelle des militaires de l’@armeedeterre qui, ce matin, s’est déroulée sous la pluie. »
Mardi, à l’issue d’une salve de tweets assassins contre Emmanuel Macron, Donald Trump a également eu un mot pour expliquer son absence à Bois Belleau :
« Le Secret Service a dit NON, trop loin de l’aéroport et cela risque de bloquer Paris. [J’ai fait un] discours le lendemain à l’American Cemetery sous une pluie battante ! Personne dans les Fake-News n’en a parlé ! »
Il faut préciser que ce n’est pas la première fois qu’une de ses visites est annulée à cause du mauvais temps : en novembre 2017, il n’avait pu se rendre sur la zone démilitarisée séparant les deux Corées, en raison de la météo.
Signaux contradictoires envoyés aux militaires
Contrairement aux idées reçues, la popularité du président parmi les militaires n’est pas au sommet. Le 17 octobre, il expliquait à l’agence Associated Press qu’il n’avait pas rendu visite aux militaires déployés dans des zones de combat en Afghanistan ou en Irak, parce qu’il « est très occupé ».
Alexander McCoy, un ancien sergent des marines et porte-parole de l’association Common Defense #VetsAgainstTrump qui regroupe 150 000 membres et critique l’action du président, expliquait au New York Daily News qu’il n’était pas surpris qu’il ne rende pas visite aux troupes dans les zones de guerre, « puisqu’il a utilisé son argent et ses relations pour éviter d’y aller », pendant la guerre du Vietnam.
Le 12 novembre, dans un tweet, il demandait aux responsables électoraux de Floride d’arrêter le nouveau décompte des suffrages et de déclarer vainqueurs les deux candidats républicains aux postes de sénateur et de gouverneur dans cet Etat… quitte à ne pas dépouiller les votes par correspondance des militaires déployés à l’étranger mais résidant en Floride, rapportait le Huffington Post.
Quelques heures plus tard, la Maison Blanche annonçait que le président ne sortirait pas de la Maison Blanche, n’allant ni au cimetière militaire d’Arlington ni à l’hôpital militaire Walter Reed, tous deux à proximité de sa résidence, poursuit le Huffington Post. Belle façon de célébrer les vétérans, a noté le Washington Post.
De son côté, le site Military Times relevait, avant les élections de mi-mandat du 6 novembre, que les militaires avaient une vue mitigée de l’action du président : si 60 % d’entre eux estiment que l’armée est mieux traitée qu’elle ne l’était sous Barack Obama, 44 % approuvent l’action de Donald Trump et 43 % la désapprouvent, les hommes étant plus favorables au président que les femmes. « La règle générale avec l’armée est qu’elle suit l’opinion publique, elle est un peu plus favorable au président que le reste du pays », commente Peter Feaver, un ancien conseiller de George W. Bush devenu professeur de sciences politiques à Duke University, à Durham, en Caroline du Nord.