L’avis du « Monde » – à voir

Baptême du feu cinématographique pour Damiano et Fabio D’Innocenzo, deux frères originaires de Tor Bella Monaca dans la périphérie romaine, passés au cinéma par passion, sans formation particulière. Un regard exercé pourrait le constater, mais qu’importe, l’essentiel ne tient jamais à la perfection dans la création artistique. Voudrait-on être cruel – et totalement improductif en matière de préconisation critique – qu’on ajouterait que l’originalité ne caractérise pas, par surcroît, un film italien consacré au récit de formation de deux jeunes gens pauvres dans la Mafia.

Alors quoi ? Disons le geste, la croyance, l’énergie. Et aussi, pour faire bonne mesure, cette histoire de deux amis qui sont comme des frères, pour la belle métaphore de l’entrée en cinéma des D’Innocenzo. Manolo et Mirko, on les trouve donc au premier plan dans une conversation inepte, écroulés de rire, engloutissant des pizzas dans une voiture à l’arrêt, sur fond de paysage semi-urbain sinistre. L’accident survient lorsqu’ils reprennent la route, heurtant par inadvertance un type et s’enfuyant en le laissant pour mort. Le moteur fictionnel est lancé.

Balance en fuite

Les deux gamins sonnés se réfugient chez le père de Manolo, qui les engueule copieusement avant d’apprendre que le défunt était une balance en fuite, activement recherchée par la Mafia locale. Chez le commun des mortels, on pourrait se réjouir de penser que ce mort-là n’appellera, par voie de conséquence, que peu d’intérêt et aucune enquête. Chez le père de Manolo, réduit à une vie de misère, l’idée d’en tirer un possible profit se fait aussitôt jour. Alors qu’il se réjouissait que son fils n’ait pas tenu le volant de la voiture, il lui enjoint de se désigner comme l’auteur de l’accident auprès du clan Pantano, sans rien en dire à son copain Mirko. Et ça marche. Mirko finira quand même, à force d’insister, par rejoindre son copain dans cette sale aubaine.

Devenus petites mains d’un gang assez peu recommandable, les deux jeunes gens apprennent à devenir des petites frappes, à tuer vite et bien

Le sordide de l’histoire tiendrait de la farce noire s’il ne nourrissait un réalisme tragique. Devenus petites mains d’un gang assez peu recommandable, les deux jeunes gens apprennent à devenir des petites frappes, à tuer vite et bien et à s’évaporer dans la nature. C’est toutefois moins le spectacle de cette violence qui intéresse les frères D’Innocenzo que le processus insidieux et fatal de l’argent facile et de la griserie que procure la toute-puissance de l’illégalité. Cette spirale perverse, mais somme toute logique, qui veut qu’un homme à la condition sociale dégradée, victime d’un système qui engendre du mépris pour la personne humaine, puisse envisager, pour en sortir, de dévaluer à son tour le prix non plus seulement de la personne, mais de la vie humaine elle-même.

C’est sur ce terrain glissant que nous entraîne Frères de sang, filmé avec force flous et décadrages dans une lumière d’aquarium et un délabrement urbain qui évoquent une Italie infiniment moins riante et lumineuse qu’attendu. Une Italie sombre et malade, où le mythe de l’honneur de la famille recouvre des intérêts miteux, où les malfrats ne ressemblent à rien, où les pères inconséquents portent sur leurs bras le nom tatoué des fils qu’ils ont sacrifiés. Une Italie, en un mot, retombée dans l’ordre de Moloch, ressaisie voluptueusement par la promesse de la puissance, du sang et de la mort.

FRÈRES DE SANG - Bande annonce
Durée : 01:28

Film italien de Damiano et Fabio D’Innocenzo. Avec Andrea Carpenzano, Matteo Olivetti, Milena Mancini, Luca Zingaretti (1 h 35). Sur le Web : www.arpselection.com/category/tous-nos-films/thriller/freres-de-sang-466.html