Les concurrents de la course pour la paix, la première course Ethiopie-Érythrée pour la paix et la réconciliation (10 km), sur la place Meskel à Addis-Abeba le 11 novembre 2018. / MICHAEL TEWELDE / AFP

Editorial du « Monde ». Par un vote à l’unanimité, les membres du Conseil de sécurité des Nations unies ont décidé de mettre fin aux sanctions qui touchaient l’Erythrée depuis 2009. Ces mesures avaient pour effet d’imposer un embargo sur les armes à destination de ce pays, mais aussi de le maintenir dans un isolement renforcé. Tout cela devrait prendre fin.

C’est un message d’espoir pour l’Erythrée – et pour sa région, la Corne de l’Afrique –, en même temps qu’un aveu d’impuissance : ces sanctions n’ont jamais produit d’effet vertueux, leur principe s’en trouve donc diminué. Cette dynamique est aussi la consécration discrète d’un nouveau modèle de résolution des conflits, celui des solutions arabes aux problèmes africains. Sont désormais chargés, pour régler et réguler les équilibres des forces dans la Corne de l’Afrique, des pays de la péninsule Arabique, au premier rang desquels l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (EAU).

L’embargo sur les armes à destination de l’Erythrée n’avait aucun lien direct avec la situation des droits de l’homme dans ce pays, ni avec le service militaire général, obligatoire et à la durée indéfinie, qui joue un rôle-clef dans la volonté d’une partie de sa jeunesse de fuir vers l’étranger. Les sanctions reposaient plutôt sur l’espoir de neutraliser le soutien d’Asmara à la mouvance djihadiste somalienne et rejoignaient la volonté de l’Ethiopie de nuire à son voisin et ennemi érythréen. Or les dirigeants éthiopiens bénéficiaient, en raison de leur implication dans la lutte contre les mouvements djihadistes, d’un fort soutien occidental et d’une neutralité bienveillante des autres puissances.

Promesse fragile de prospérité

Il se trouve que les preuves de cette implication érythréenne tendent à faire défaut. Et que les priorités ont changé, en même temps que les parrains de la région. Dans l’intervalle, l’Erythrée a resserré ses liens avec les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Une réorganisation de la Corne de l’Afrique est en cours sous l’égide de ces derniers, avec en point d’orgue la paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée, dans laquelle leur rôle a été important.

Cette paix signée en juillet, célébrée comme une promesse de prospérité, est d’autant plus fragile que ses termes exacts sont inconnus et que sa consolidation repose sur des individus, à commencer par le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed. Ce dernier pousse les feux du changement dans son pays et affecte de vivre une « bromance » (amitié forte) avec Issayas Afeworki, le président érythréen qui n’a jamais été élu et tient d’une main de fer depuis l’indépendance en 1993 sa nation de 6 millions d’habitants.

Si tout va bien, une nouvelle phase s’ouvre qu’un conseiller du président érythréen, Issayas Afeworki, qualifie de « moment comme le pays n’en a jamais connu ». Dans ce contexte, les changements concernant les libertés fondamentales dépendront uniquement du bon vouloir du pouvoir. Cela ne signifie pas qu’elles n’auront pas lieu. Ce n’est pas parce que l’espoir pour la Corne de l’Afrique est fragile qu’il est absurde.

Il reste que la paix dans cette région est un projet politique complexe, qui s’est écrit à plusieurs mains, dont celles des parrains du Golfe. Ces derniers exportent dans cette partie de l’Afrique leurs propres rivalités. Si, demain, elles devaient jouer à contre-courant de la dynamique de paix et, tout au contraire, pousser à de nouvelles confrontations, il serait vain de compter sur des sanctions pour tenter d’éteindre les feux de la Corne, qui couvent toujours.