« Aux animaux la guerre » : de la fresque sociale au thriller
« Aux animaux la guerre » : de la fresque sociale au thriller
Par Martine Delahaye
Alain Tasma signe une adaptation tout en tendresse du premier roman de Nicolas Mathieu.
« La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom)/Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,/Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » De ces vers des Animaux malades de la peste, de Jean de La Fontaine, le romancier Nicolas Mathieu avait tiré le titre et le fil rouge de son premier livre, Aux animaux la guerre (Actes Sud, 2014). Extrait :
« Depuis longtemps, ils le savaient, on leur avait dit à la télé : ils n’en mourraient pas tous, mais tous seraient frappés. C’était leur tour. Tout de même, ça faisait drôle. Comment c’était possible de finir là, éberlués, moitié bourrés dans la cour de l’usine ? Le boulot parti. »
Lauréat du prix Goncourt 2018 pour son deuxième roman, Nicolas Mathieu a aussi signé, avec le réalisateur Alain Tasma, l’adaptation de son premier livre en minisérie. En toile de fond, une petite vallée des Vosges, qui survit tant bien que mal grâce à la dernière usine locale, Vélocia. « Un trou » où tous craignent d’être gagnés par la gangrène du chômage, sans que jamais apparaissent les grands ordonnateurs de la désindustrialisation. Une atmosphère pesante, menaçante, rarement mise en scène, qui rappelle celle du livre et de la série Les Vivants et les Morts (Calmann-Lévy, 2005), de Gérard Mordillat.
Petites combines et kidnapping
Dans cette usine, le syndicaliste Martel (Roschdy Zem, Prix du meilleur acteur lors du dernier festival Séries Mania) est appelé par ses collègues à remplacer au pied levé l’ancien secrétaire du comité d’entreprise, viré pour avoir trop magouillé. A lui de tenter de les défendre tous, lorsque l’usine entre en chômage technique, avant que ne s’annonce une fermeture pure et simple. Or Martel n’a pas que l’avenir de Vélocia sur les épaules, devant se battre par ailleurs pour que l’on n’expulse pas sa mère de la maison de retraite onéreuse où elle est placée. Sans compter d’autres tracas tels que les frais de sa voiture, amochée par un jeune sans permis ni assurance.
Même un second boulot, en tant que videur dans la boîte de nuit du coin, n’y suffit pas. Aussi, lorsque Vélocia annonce un plan social, Martel décide d’en passer par les petites combines et les grandes manœuvres pour ne pas plonger dans la détresse. D’où la mauvaise idée de kidnapper une fille qui se prostitue sur les trottoirs de Strasbourg pour la revendre à deux petits caïds de la région. Et la série, à travers deux ou trois ellipses peu réalistes – à l’opposé du reste de la trame narrative –, vire au thriller.
Toutefois, Aux animaux la guerre tient avant tout de la fresque sociale. Son récit choral donne chair et vie, avec tendresse et lucidité, à des ouvriers mais aussi à une inspectrice du travail à la fibre sociale (Olivia Bonamy), ou encore aux ados, enfants d’ouvriers en attente de fuir la vallée ; sans oublier un culturiste (l’étonnant Florent Dorizon) qui vivote de la vente de stéroïdes sous le manteau et d’un aléatoire emploi de videur dans la même boîte de nuit que Martel.
En deuxième partie de soirée, France 3 diffusera chaque jeudi un documentaire inédit consacré à celles et ceux qui résistent à la mondialisation pour survivre. Le premier, Du fil à retordre (2018), d’Anne Gintzburger, suit les ouvrières du textile qui, parmi les dernières de leur région, sont parvenues à maintenir la marque Bleuforêt en vie.
Aux animaux la guerre - Extrait
Durée : 01:45
Aux animaux la guerre, série créée par Nicolas Mathieu et Alain Tasma. Avec Roschdy Zem, Olivia Bonamy, Florent Dorizon, Rod Paradot, Lola Le Lann. www.france.tv/france-2