L’urine, nouveau matériau de construction durable en Afrique du Sud
L’urine, nouveau matériau de construction durable en Afrique du Sud
Le Monde.fr avec AFP
Des chercheurs de l’Université du Cap ont réussi à cultiver des « bio-briques » dans un mélange d’urine humaine, de sable et de bactéries.
Vukheta Mukhari, l’un des créateurs d’une brique fabriquée à partir d’urine, à l’Université du Cap, en Afrique du Sud, le 2 novembre 2018. / RODGER BOSCH / AFP
Un jour, au lieu de partir bêtement dans les toilettes, votre urine pourra vous aider à construire votre maison : ce sera bien plus écologique et, rassurez-vous, ça ne sentira pas mauvais.
Des briques fabriquées à partir d’urine humaine, voilà la dernière trouvaille de chercheurs sud-africains de l’Université du Cap travaillant sur des matériaux de construction durables et moins nuisibles pour l’environnement. Ces « bio-briques », une innovation mondiale, pourraient utilement remplacer les habituelles briques en terre cuite ou en béton, espèrent-ils.
Une étude de faisabilité avait été lancée l’an dernier, grâce à une bourse du Conseil de recherches sur l’eau, un organisme gouvernemental sud-africain, en utilisant au départ de l’urine synthétique, puis de l’urine humaine. Les chercheurs ont pu produire cette « bio-brique » au bout d’un an, en laboratoire. Mélangeant de l’urine, du sable et des bactéries, ils se sont servis d’un processus naturel, la précipitation microbienne de carbonate, une technique inspirée de la formation naturelle des coquillages.
Un procédé qui imite la formation du corail
Les chercheurs – deux étudiants et un professeur – ont réussi à « faire pousser » trois prototypes de ces briques d’un nouveau genre en six à huit jours : des blocs gris d’apparence et de poids semblables à des briques habituelles, le matériau ressemblant en tous points à du calcaire. « J’ai toujours été curieux de savoir pourquoi nous n’utilisions pas l’urine comme cela, explique à l’AFP Dyllon Randall, le professeur qui a supervisé l’un des deux étudiants. La réponse est simple : c’est possible. Ce processus est étonnant parce qu’en gros, nous avons juste fait pousser des briques à température ambiante. »
L’urine humaine, le prochain or vert ?
Durée : 06:54
Images : Universcience.
La recherche en est encore à ses balbutiements. Pour parvenir à fabriquer une brique, il faut actuellement jusqu’à 30 litres d’urine. La matière première est récupérée grâce à un urinoir spécial réservé aux étudiants masculins de l’université. Suzanne Lambert, étudiante en génie civil membre de l’équipe de recherche, admire la manière dont ont été copiés des « processus naturels ». « Ce procédé imite la façon dont le corail se forme et les processus naturels de production de ciment », observe-t-elle.
Les briques habituelles sont fabriquées dans des fours où elles sont cuites à 1 400 °C, un procédé qui provoque d’importantes émissions de dioxyde de carbone. Les « bio-briques », elles, sont « cultivées » dans du sable, où sont semées des bactéries pour produire une enzyme appelée uréase. Celle-ci réagit avec l’urée présente dans l’urine pour produire un composé semblable à du ciment, qui s’associe avec le sable. Le produit ainsi obtenu peut être moulé et sèche à température ambiante, sans four ni émissions de gaz à effet de serre.
Aussi solide qu’une brique classique
Des « bio-briques » sont déjà fabriquées aux Etats-Unis, mais à partir d’urine de synthèse. Celles produites en Afrique du Sud sont les premières à utiliser de l’urine humaine. « Nous utilisons l’urine, habituellement considérée comme un déchet, au sein d’un processus entièrement durable », souligne M. Randall. Et pour ceux qui s’inquiéteraient d’avoir des murs qui sentent mauvais, l’odeur ammoniaquée qu’engendre l’urine humaine se dissipe en quelques jours de séchage des briques.
La résistance du matériau peut être ajustée aux besoins spécifiques d’une construction, souligne Vukheta Mukhari, l’autre étudiant qui a participé à la recherche. Les « bio-briques » produites jusqu’à présent se révèlent « aussi solides que les briques disponibles sur le marché ». Le prix de ce matériau innovant se révélera déterminant pour savoir s’il pourra concurrencer les briques classiques. Mais aujourd’hui, il est trop tôt pour en avoir une idée. « Nous sommes très loin d’une véritable commercialisation », avertit M. Randall.
Le professeur estime que le procédé de fabrication peut être amélioré. « Actuellement nous avons besoin de 20 à 30 litres pour créer une brique de taille standard. Cela paraît effectivement beaucoup, mais l’urine est constituée d’eau à environ 90 %, rappelle-t-il. Nous cherchons comment réduire le volume d’urine nécessaire pour faire une brique et je suis sûr que d’ici quelques années, nous aurons de bien meilleurs résultats. »