Colin Crowell : « Nous allons repenser différentes fonctions de Twitter »
Colin Crowell : « Nous allons repenser différentes fonctions de Twitter »
Propos recueillis par Michaël Szadkowski
Le directeur chargé des affaires publiques répond aux questions du « Monde » sur les règles de modération et la gestion des contenus problématiques sur le réseau social.
Colin Crowell, directeur général des affaires publiques de Twitter. / VINCENT CASTELO / Twitter
Colin Crowell, le directeur général des affaires publiques de Twitter, était l’un des invités du Forum de la paix, qui s’est tenu à paris du 11 au 13 novembre. Il a répondu aux questions du Monde, dans les locaux de Twitter France, dans un contexte où les questions de modération et des règles d’expression sur le réseau social font débat.
Certaines décisions récentes, tel que le fait de bannir Alex Jones, figure de proue du conspirationnisme américain, aux Etats-Unis, ont eu lieu dans le but de faire respecter des règles d’utilisation du réseau social qui interdisent, entre autres, « le harcèlement ciblé de quelqu’un, ou inciter les autres à le faire ».
Mais de nombreux cas d’actualité continuent de pointer des défaillances, ou de fortes interrogations face à la capacité de Twitter à faire face aux messages problématiques sur sa plate-forme, utilisé par environ 330 millions de personnes dans le monde. Dernier exemple en date en France : la député La République en marche (LRM) Yaël Braun-Pivet, qui a regretté publiquement le manque de « coopération » de Twitter dans le cadre d’investigations suivant sa plainte pour des injures et des menaces antisémites postées sur le réseau social.
Dans certaines rédactions, la question de continuer à utiliser Twitter est également posée, même si les journalistes peuvent être d’intenses utilisateurs du réseau, particulièrement dans un contexte où les politiques construisent leur communication sur Twitter, à l’image du président des Etats-Unis Donald Trump. En septembre, la correspondante du New York Times à la Maison Blanche annonçait limiter son utilisation du réseau social, qu’elle estime désormais envahi par « la méchanceté », la « colère partisane toxique », la « malhonnêteté intellectuelle », le « sexisme », et qui est « un énorme et inutile gaspillage de temps et d’énergie mentale ».
Nous avons confronté Colin Crowell à ces questions.
« Le Monde » : le discours haineux est-il, selon vous, désormais l’un des principaux enjeux actuel ?
Colin Cromwell. C’est un problème majeur, qui concerne tout Internet. Chez Twitter, nous avons consacré un temps, une énergie et des ressources considérables à ce sujet, particulièrement depuis un an et demi. Nous avons annoncé, au début de 2017, que la sécurité et les comportements abusifs seraient notre principale priorité. Depuis, nous avons mis à jour une trentaine de fois notre politique de contenus, et mis en place de nouvelles options dans nos applications. Désormais, nous agissons sur dix fois plus de comportements abusifs sur Twitter qu’il y a un an.
Beaucoup de gens continuent pourtant de se plaindre du manque d’effets quand ils « signalent un tweet », parce qu’il est dangereux, nocif, ou qu’il traduit, selon eux, un mauvais comportement. Avez-vous comme projet d’améliorer votre processus de modération ?
Jack Dorsey (fondateur et PDG de Twitter) l’a souligné devant le Congrès américain [lors d’une audition en septembre 2018] : nous ne voulons pas que nos utilisateurs aient à assumer la responsabilité du signalement des comportements abusifs.
Nous nous tournons de plus en plus vers des technologies de machine learning [apprentissage automatisé à l’aide de logiciels informatiques] pour nous aider dans ce travail. Nous réfléchissons aussi à la manière d’ajouter des outils supplémentaires dans nos applications. Nous avons, par exemple, récemment inclus une option dans le processus de signalement permettant de signaler des comptes que les utilisateurs estiment être des faux.
Il s’agit d’une information importante pour nous, car beaucoup de contenus partagés sur Twitter peuvent recevoir une exposition artificielle et automatisée. Nous faisons des progrès significatifs pour lutter contre ce phénomène, environ 500 000 connexions suspicieuses sont bloquées chaque jour.
Le nombre de comptes que nous examinons, pour savoir s’il s’agit de comptes automatisés, de spams, ou s’il y a de vrais humains derrière, augmente de semaine en semaine. Il y a un an, il s’agissait de 2,3 millions de comptes par semaine. Ce chiffre est maintenant à près de 10 millions. Or, lorsqu’un compte est dans ce processus, nous l’empêchons de poster des nouveaux tweets, nous le faisons disparaître des résultats de recherche et nous faisons diminuer sa visibilité générale sur la plate-forme.
Vous parlez du fonctionnement de Twitter. Des médias américains ont récemment révélé que les fonctions « retweets » ou « like » étaient potentiellement en sursis. Y a-t-il des évolutions significatives qui vont avoir lieu prochainement ?
La réponse courte est : oui. Twitter a déjà beaucoup évolué ces dernières années. Nous sommes passés de 140 à 280 caractères. Vous pouvez ajouter des photos, des captures d’écran, des vidéos, et même diffuser des vidéos en direct depuis votre application.
Nous sommes conscients du fait que les technologies ont évolué, au même rythme que les enjeux liés à l’utilisation de Twitter. Comme l’a déclaré récemment Jack Dorsey, nous allons repenser différentes fonctions de notre plate-forme, dont celles mentionnées récemment par des médias américains, et y jeter un œil nouveau.
Nous échangeons avec le public, nos utilisateurs, mais plus particulièrement des chercheurs et des universitaires, sur la question des conversations « saines ». C’est actuellement la mission en cours chez Twitter : être au service de la conversation publique. Les entreprises des nouvelles technologies aiment bien mesurer les choses, nous cherchons donc des données pour évaluer notre impact dans le débat public.
Actuellement, de nombreux utilisateurs intensifs (journalistes, célébrités, politiques) se posent la question de leur usage de Twitter, et disent ne plus apprécier la plate-forme, en raison du niveau de violence de certaines conversations…
Cela montre que, malgré nos progrès, nous devons travailler davantage. Nous voulons continuer à encourager les journalistes à utiliser Twitter. Ce n’est pas anodin pour nous que Twitter soit classé dans la catégorie « actualités » dans l’AppStore. Cela ne fait aucun doute : dans le cadre du débat public, il n’y a pas de groupes plus importants d’utilisateurs de Twitter que les organisations journalistiques, qui examinent les contenus diffusés sur Twitter, les valident, les vérifient, les réfutent, les confrontent à la contradiction, et demandent des comptes aux représentants de l’autorité publique.
Est-ce que vous jugez que l’utilisation de Twitter faite par le président des Etats-Unis Donald Trump a un effet sur votre politique de contenus ? Cela influence-t-il vos travaux et évolutions possibles ?
Donald Trump est l’un des rares chefs d’Etat à écrire lui-même sur Twitter. Cela amène une voix authentique. Lorsqu’il tweete, les gens savent que c’est vraiment lui. Cela apporte une certaine force à l’utilisation de son compte. De notre point de vue, dans le contexte d’une plate-forme publique, la voix de n’importe quel chef d’Etat est importante. Mais c’est aussi une voix à laquelle les utilisateurs de Twitter ont la possibilité de répondre en temps réel. Nous le voyons chaque jour.