En Colombie, un procureur rattrapé par l’affaire Odebrecht
En Colombie, un procureur rattrapé par l’affaire Odebrecht
Par Marie Delcas (Bogota, correspondante)
La mort au cyanure du fils d’un témoin-clé révèle de nouveaux conflits d’intérêts.
Logo de la société brésilienne Odebrecht, soupçonnée d’avoir versé payé 32 millions de dollars (28 millions d’euros) en pots-de-vin et financé les campagnes présidentielles colombiennes de 2010 et 2014, gagnées par l’ex-président Juan Manuel Santos. / Carlos Jasso / REUTERS
La vidéo a été tournée au mois d’août. L’auditeur Jorge Enrique Pizano avait donné ordre au journal télévisé Noticias Uno de la diffuser « s’il quittait le pays ou s’il mourait ». Elle a été diffusée dimanche 11 novembre au soir, trois jours après la mort de M. Pizano, et quelques heures après celle de son fils. M. Pizano détenait des informations essentielles sur les pots-de-vin versés en Colombie par Odebrecht, entreprise brésilienne de travaux publics désormais connue comme « la multinationale latino-américaine de la corruption ».
Révélée en décembre 2016 par une enquête du département de la justice des Etats-Unis, l’affaire Odebrecht a fait tomber des têtes partout en Amérique latine. En Colombie, le géant brésilien, qui a emporté plusieurs contrats importants entre 2009 et 2014, est soupçonné d’avoir payé 32 millions de dollars (28 millions d’euros) en pots-de-vin et financé les campagnes présidentielles de 2010 et 2014, gagnées par l’ancien président Juan Manuel Santos.
M. Pizano était atteint d’un cancer lymphatique. Sa mort le 8 novembre n’a pas initialement soulevé de soupçons et les médecins légistes ont confirmé après autopsie qu’il était bien mort d’un infarctus. Mais, trois jours plus tard, son fils, âgé de 31 ans, était empoisonné au cyanure en buvant de l’eau d’une bouteille qui se trouvait sur le bureau de son père. Le parquet a ouvert une enquête pour déterminer l’origine du poison.
« J’ai des preuves »
L’affaire éclabousse déjà le chef du parquet, Nestor Humberto Martinez. Brillant avocat d’affaires entre deux postes dans la fonction publique, M. Martinez a travaillé un temps pour le groupe Aval, partenaire colombien d’Odebrecht dans le cadre d’un consortium dont M. Pizano a assuré l’audit de 2010 à 2014.
Devant la caméra, M. Pizano affirme avoir informé M. Martinez en 2015 des versements suspects effectués par Odebrecht pour qu’il en prévienne Luis Carlos Sarmiento, patron du groupe Aval et homme le plus riche de Colombie. « Je ne spécule pas. J’ai des preuves de tout ce que je dis », affirme dans la vidéo M. Pizano, qui a fourni les enregistrements de ses conversations avec l’avocat du consortium.
Devenu procureur, Martinez s’est déclaré empêché pour suivre l’enquête Odebrecht en 2016. Mais pourquoi n’a-t-il jamais dénoncé les faits dont il a eu connaissance en 2015 ? Sa défense est aujourd’hui brouillonne. Interrogé en direct à la télévision, il a argué du fait que « les simples citoyens n’[étaient] pas tenus de dénoncer les cas de corruption ».
Plusieurs parlementaires d’opposition demandent le départ du procureur. « La simple décence aurait dû conduire le procureur de la République à présenter sa démission », a ainsi souligné le sénateur et ancien candidat à la présidence Gustavo Petro. Pour son collègue Jorge Robledo, « le procureur Martinez continue de travailler pour son principal client, Luis Carlos Sarmiento, et continue de le protéger ».