Présidentielle à Madagascar : les manœuvres de l’entre-deux-tours
Présidentielle à Madagascar : les manœuvres de l’entre-deux-tours
Par Laure Verneau (Antananarivo, correspondance)
Contestation des résultats, demandes d’annulation du scrutin, alliances entre partis, rôle de l’armée… Jusqu’au 19 décembre, la Grande Ile retient son souffle.
Un arrêt de bus à Antananarivo, capitale de Madagascar, le 6 novembre 2018. / MARCO LONGARI / AFP
Les résultats provisoires du premier tour de l’élection présidentielle à Madagascar sont contestés par l’ensemble des candidats, dont certains ont déposé une requête en annulation devant la Haute Cour constitutionnelle (HCC). Cette crise peut-elle dégénérer dans la rue, comme Madagascar en a fait à plusieurs reprises l’expérience par le passé ? L’armée a d’ores et déjà mis en garde contre une telle tentation. De leur côté, l’Union européenne et l’Union africaine, qui appuient le processus électoral et avaient déployé des observateurs le 7 novembre, ont demandé aux candidats de rester dans le cadre légal.
Qui conteste les résultats du premier tour ?
Tous les candidats contestent les résultats annoncés samedi 17 novembre par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), mais aucun n’agite pour le moment la menace de faire descendre ses partisans sans la rue. Andry Rajoelina, vainqueur de ce premier tour avec 39,19 % des voix, a fait savoir lundi qu’il se conformerait au résultat final de la HCC. Celle-ci doit valider les résultats de la CENI entre le 26 et le 28 novembre. Elle est par ailleurs la seule institution à pouvoir légiférer sur les différends électoraux.
M. Rajoelina a annoncé qu’il déposerait une plainte auprès de la HCC en raison des nombreuses irrégularités relevées pendant le scrutin. L’ex-chef de l’Etat pendant la Transition (2009-2014) exige une confrontation des procès-verbaux au niveau de la CENI et des « sanctions exemplaires » pour ceux « qui font fi de détourner le choix du peuple ».
De son côté, l’ancien président Marc Ravalomanana (2002-2009), arrivé à la deuxième place avec 35,29 % des voix, a fait savoir sur sa page Facebook qu’il acceptait les résultats de la CENI. Mais comme son rival, il déposera plainte auprès de la HCC. « Nous allons déposer une requête en rétablissement des voix, déclare Hanitra Razafimanantsoa, sa porte-parole, jointe par téléphone. Nous avons fait des critiques sur les méthodes de la CENI bien avant les élections. »
Certains candidats vont plus loin et demandent l’annulation de l’élection. A commencer par le chef de l’Etat sortant, Hery Rajaonarimampianina, qui estime avoir été victime d’une « fraude massive ». La coalition des 25 candidats qui, dès avant le premier tour, désavouaient le travail de la CENI et le processus électoral a également déposé une requête en annulation. La HCC dispose de sept jours statuer.
L’annulation de l’élection est-elle possible ?
La HCC a le pouvoir d’annuler les élections. Ce scénario est toutefois jugé peu probable. « La HCC peut annuler les résultats de certains bureaux de vote dans des cas très flagrants de fraude. Mais cela n’aurait pas d’incidences sur le résultat final, explique Sahondra Rabenarivo, juriste et membre du Sefafi, l’Observatoire de la vie publique à Madagascar. Par le passé, aucune requête en annulation n’a jamais abouti. Et je pense que cette fois-ci, ils ne le feront pas non plus. Même sous pression, même sous la menace. Il est dans l’intérêt de la nation d’avoir un deuxième tour. »
Tout en admettant que les résultats de la CENI ne sont pas exempts d’erreurs, la juriste estime qu’ils sont représentatifs de la volonté de la population. « Ce vote est une façon pour les Malgaches de solder la crise de 2009, indique-t-elle. En 2013, on avait 40 candidats, avec deux finalistes du second tour parfaitement inconnus [Jean-Louis Robinson et Hery Rajaonarimampianina] et un vote beaucoup plus éparpillé. »
Quelles alliances pour le second tour ?
L’écart entre MM. Rajoelina et Ravalomanana n’est pas énorme : 194 000 voix. Le premier a engrangé d’importants scores dans quasiment toutes les régions, alors que M. Ravalomanana s’est démarqué dans les circonscriptions densément peuplées (notamment dans la région d’Analamanga, qui comprend la capitale, Antananarivo, dont son épouse est maire).
Les voix des recalés seront donc âprement convoitées dans la perspective du 19 décembre, date fixée pour le second tour. Le rapprochement aurait déjà commencé entre le HVM, le parti de M. Rajaonarimampianina, qui est arrivé troisième avec un peu moins de 9 % des voix, et le TIM, de M. Ravalomanana. Les 33 autres candidats, qui ont totalisé 772 000 voix environ, ne devraient pas être laissés de côté dans le jeu d’alliances qui s’annonce.
Reste un paramètre dont l’évolution pourrait peser tout autant : le taux de participation. Lors de l’élection de 2013, il avait progressé de dix points entre les deux tours.
L’armée pourrait-elle intervenir en cas de crise ?
Face aux multiples mises en cause du scrutin, l’armée est sortie de sa réserve, le 16 novembre, pour rappeler les candidats à leurs responsabilités. « Madagascar est un Etat de droit. Les forces de l’ordre avertissent tout individu qui serait tenté de faire une provocation ou de semer le trouble », a indiqué Njatoarisoa Andriajanaka, le commandant de la gendarmerie nationale, lors d’une conférence de presse en présence du chef d’état-major de l’armée et du directeur général de la police.
Les forces armées ne s’étaient pas exprimées depuis la crise préélectorale qui avait conduit au remaniement ministériel, en juin, et au cours de laquelle elles avaient une première fois demandé aux politiciens de respecter les règles de droit. Cette nouvelle intervention indique qu’elles n’entendent pas changer de position.
« Dans le cas où il y aurait des troubles à l’ordre, nous interviendrons dans le respect de la légalité. Nous veillons au grain, surtout en ce qui concerne les actes de vandalisme pendant les manifestations, assure le général Béni Xavier Rasolofonirina, ministre de la défense, joint par téléphone. Nous serons toujours derrière l’autorité civile. Il vaut mieux prévenir que guérir, c’était la raison de notre conférence de presse vendredi. »
Peut-on envisager un scénario similaire à 2009, où l’armée se rangerait derrière un candidat ? La voix du ministre se raidit : « L’histoire a montré que la voie extra-constitutionnelle n’apportait que des sanctions ; ça n’apportera rien au pays. Nous ne voulons plus de chaos. Nous attendons les résultats officiels de la HCC et nous aviserons sur la marche à suivre. » Selon la juriste Sahondra Rabenarivo, le schéma de 2009 est exclu puisque, selon elle, les rangs des forces armées sont trop dispersés politiquement.