« Pendant mon école d’ingénieurs, je n’ai parlé à personne de ma séropositivité »
« Pendant mon école d’ingénieurs, je n’ai parlé à personne de ma séropositivité »
Par Alice Raybaud
A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, samedi, Rémy Hamai, 25 ans, évoque le tabou qui entoure le VIH à l’université et dans les grandes écoles.
Rémy Hamai, 25 ans, revient sur son parcours d’étudiant séropositif dans son école d’ingénieurs. / DR
Témoignage. A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, Rémy Hamai, 25 ans, raconte au « Monde » son parcours d’étudiant séropositif. Diplômé d’une école d’ingénieurs en travaux publics, il évoque l’impact du VIH sur ses années d’études, entre silence et changement de voie.
J’étais très jeune quand j’ai découvert ma séropositivité. J’ai passé le test à l’âge de 20 ans et reçu le résultat le jour anniversaire de mes 21 ans. J’avais toujours pris très peu de risques, j’avais eu seulement un rapport non protégé, mais inconsciemment je me suis douté du danger. J’ai fait un test très rapidement, six semaines après ce rapport – quand la moyenne des gens attendent trois ans avant d’aller se faire dépister.
L’annonce a été particulièrement brutale. Je ne m’y attendais pas – ou du moins j’étais dans le déni au moment de faire mon test. A l’époque, j’étais entouré d’hétéros qui ne se protégeaient jamais et, même si j’étais plutôt instruit sur le sujet, je n’avais pas encore conscience que j’avais plus de risque épidémiologiquement d’être infecté du fait d’être gay. Cela a été d’autant plus compliqué que je savais que cela allait constituer une nouvelle difficulté dans mon parcours, et accentuer une forme de rejet que je subissais déjà vis-à-vis du reste de la société.
Valise pleine de médicaments
Au moment où j’ai été contaminé, je ne me sentais pas bien, dans mes études et surtout dans mon cercle familial. Avec ma mère, chez qui j’ai vécu pendant toutes mes années d’étudiant, cela se passait très mal depuis que je lui avais annoncé, à l’âge de 18 ans, que j’étais gay. Elle est devenue agressive et insultante, c’était comme si je n’étais plus vraiment son fils.
Avant de devenir séropositif, je ne pouvais déjà pas compter sur son soutien. Et pourtant, j’en avais besoin, en particulier pendant ma classe prépa scientifique. Deux années intenses, où j’avais du mal à trouver ma place. Quand j’ai annoncé ma contamination à ma mère, j’étais en école d’ingénieurs à l’Ecole spéciale des travaux publics (ESTP Paris). Je me suis renfermé sur moi-même pendant deux mois, avant de décider de rester consciencieux dans mes études et de prendre le temps de réviser mes partiels.
A ce moment-là, j’ai eu l’opportunité de faire un stage en Australie. Je commençais à peine mon traitement en quadrithérapie, et je suis parti avec toute une valise remplie de médicaments pour quelques mois. Ce n’était pas évident. Mais, loin de tout, seul avec moi-même, cela m’a permis de prendre du recul et de faire un point sur la situation.
Ne pas parler pour éviter le rejet
Ce qui me frappe quand je pense à ces années d’études, c’est ma relation avec mes camarades de promo : je n’ai pas pu leur parler de ce qui m’arrivait. Je me souviens avoir dit à certains que je n’allais pas bien, mais que j’allais régler le problème seul. C’était un choix : je savais qu’il ne fallait en parler à personne pour éviter le rejet et les discriminations. J’avais honte, je me sentais fautif et puis à cette époque je n’étais pas encore au clair avec mon homosexualité, ce qui n’arrangeait rien.
Même si je n’en parlais pas, la séropositivité a changé beaucoup de choses dans mon parcours. Un an après la contamination, j’ai ressenti le besoin de m’investir dans l’associatif, d’abord dans une association LGBT de mon école, avec laquelle j’organisais des stands de prévention sur les campus, puis à Act Up, dont de fil en aiguille je suis devenu le président [poste qu’il a quitté en avril 2018]. Je suis aujourd’hui porte-parole de l’association Les ActupienNEs.
Cet engagement est devenu ma soupape, et me permettait de réfléchir au VIH, et au sens que prenait ma vie. Ce militantisme m’a surtout énormément appris, peut être bien plus que mes années en école d’ingénieurs : savoir s’exprimer, organiser du débat, être cohérent, se plonger dans les rapports et les études. Tout cela se répète dans le monde de l’entreprise. Mais mes camarades de l’école ne comprenaient pas pourquoi je passais autant de temps dans ces associations. Pour eux, les militants contre le sida étaient des agitateurs. Je n’ai jamais pu le partager avec eux : nous n’étions plus sur la même route.
Depuis des années, Rémy Hamai travaille en parallèle de ses études avec un maître verrier. Ci-dessus, l’un de ses derniers vitraux. / DR
Tout cela a surtout remis en question l’ensemble de mon projet professionnel. Sans cet électrochoc, aujourd’hui je travaillerais sûrement à Bouygues ou à Vinci, dans des immenses immeubles où je ne serais pas heureux. Auparavant, je suivais le mouvement : j’ai toujours fait ce qu’on m’a dit de faire. Depuis tout petit, je m’intéressais à l’art et au social, mais je ne m’étais pas autorisé à suivre ces inclinations, alors je suis allé en prépa. Avec cette nouvelle porte qui s’ouvrait dans ma vie, j’ai décidé d’orienter mon projet professionnel vers un métier où je suis proche des gens. Je travaille désormais comme ingénieur pour le département de Seine-Saint-Denis, sur les questions d’insalubrité.
Prévention insuffisante sur les campus
Les étudiants sont aujourd’hui moins conscients qu’il y a dix ans des risques du sida. Ils ne sentent pas concernés. Et pourtant, la contamination chez les 16-25 ans ne cesse d’augmenter. Elle a triplé chez les jeunes gays et bi en l’espace de dix ans. Et on voit également apparaître une progression chez les hétéros – même chez les jeunes filles hétérosexuelles. Dans le milieu étudiant, on délaisse le préservatif, avec un discours du type :
« A quoi ça sert ? Le sida, c’était y’a longtemps, pas besoin de se protéger ! »
Le problème, c’est que la prévention est inexistante dans les écoles privées et clairement insuffisante dans les universités, d’autant que la sexualité demeure un sujet tabou chez les jeunes. Il existe bien des services de médecine préventive (les Sumpps) qui font des actions, mais le plus souvent, il n’y en a qu’un pour plusieurs universités. Ils ne sont pas implantés sur tous les campus et trop peu nombreux face à l’importante démographie étudiante.
Auparavant, les mutuelles étudiantes jouaient un rôle essentiel dans la prévention, mais ce ne sont plus leurs principales prérogatives depuis que les étudiants sont désormais rattachés au régime général. Sur la distribution de préservatifs et sur la prévention contre la contamination et contre la sérophobie, il faut se donner les moyens d’une lutte efficace. Nous n’en sommes pas là.