« Pig » : un serial killer chez les cinéastes iraniens
« Pig » : un serial killer chez les cinéastes iraniens
Par Clarisse Fabre
Le thriller loufoque de Mani Hghighi est une satire féroce du régime.
On connaît le film iranien coup de poing, à la manière de Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof ou Rafi Pitts. Ou encore le drame de société distancié, façon Asghar Farhadi. Voici Pig, « cochon » ou « porc », comme on voudra, septième long-métrage de Mani Haghighi, une comédie gargantuesque et démesurée aux allures de thriller, qui n’en est pas moins une satire féroce de la censure dans le cinéma iranien. Un porc sauté aux petits oignons. En l’espèce, le titre renvoie au mot qui est inscrit – au couteau – sur la tête de chaque victime abattue dans ce film au suspense hilarant.
En compétition officielle à Berlin, Pig peut se résumer ainsi : la terreur et la suspicion s’emparent des professionnels du cinéma, à Téhéran, alors qu’un tueur en série abat l’un après l’autre de célèbres réalisateurs. Il reste encore quelques survivants, parmi lesquels le cinéaste Hasan Kasmai, personnage principal du film (brillamment incarné par Hasan Majuni, acteur de théâtre et metteur en scène). Sanctionné par le régime iranien, qui lui a retiré toute autorisation de tournage, Hasan ronge son frein en tournant des publicités. Surtout, il voit s’éloigner la femme qu’il aime, qui est aussi l’actrice populaire qu’il a fait tourner dans ses films précédents – interprétée par Leila Hatami, elle-même révélée dans Une séparation (2010), de Farhadi.
Enfin, notre héros, qui n’a encore jamais été attaqué par l’assassin, finit par s’inquiéter : serait-il à ce point has been ? Il pourrait passer son temps sur le divan, comme Woody Allen, mais il préfère se mettre en danger. Qu’a-t-il à perdre ? Ou plutôt, que n’a-t-il pas à gagner en devenant une victime ? Délicieuse mise en abîme des débats qui agitent le cinéma iranien – qu’est-ce qu’un cinéma contestataire ? A quoi reconnaît-on un cinéaste engagé ? –, le film de Mani Haghighi est emblématique d’une nouvelle forme de narration politique. Ici, derrière l’apparente légèreté d’une histoire foldingue et loufoque, la subversion apparaît en filigrane dans le scénario (validé par le bureau de la censure iranien).
Humour et insolence
Né en 1969 à Téhéran, Mani Haghighi carbure à l’humour et à l’insolence. L’idée du film, explique-t-il, lui est venue alors qu’il venait d’apprendre la mort d’un réalisateur iranien. « Tout le monde disait du bien de lui. Je songeais que, de son vivant, personne ne se souciait de lui et de son travail, et combien, en Iran en particulier, la mort permet à des artistes médiocres d’acquérir une reconnaissance. » Dans Pig, trois réalisateurs iraniens bien vivants dans la vraie vie se retrouvent « assassinés ». Mani Haghighi a tout de même pris soin de leur demander leur accord avant de les nommer dans le film.
Petit détail, ils ne sont pas tous des rebelles : Ebrahim Hatamikia fait des films de propagande, comme il le dit lui-même ; Hamid Nematollah est un réalisateur émergent ; Rakhshan Bani Etemad est une opposante au régime. Mani Haghighi, lui, a grandi sur les plateaux de tournage, entre un grand-père producteur et réalisateur d’avant la révolution de 1979, Ebrahim Golestan, et un père chef opérateur tout autant renommé, Nemat Haghighi. Mani Haghighi a travaillé aux côtés d’Abbas Kiarostami, lequel a écrit son deuxième film, Men at Work (2006). Avec Pig, Haghighi prouve qu’il n’est ni Kiarostami, ni Panahi, ni Farhadi. Mais simplement lui-même.
Film iranien de Mani Haghighi. Avec Hasan Majuni, Leila Hatami, Leili Rashidi (1 h 47). Sur le web : www.facebook.com/epicentrefilms, www.epicentrefilms.com/Pig-Mani-Haghighi,