A Lyon, une volonté de ne pas opposer « gilets jaunes » et « gilets verts »
A Lyon, une volonté de ne pas opposer « gilets jaunes » et « gilets verts »
Par Richard Schittly (Lyon, correspondant)
La tension est montée lorsque la manifestation a voulu se diriger vers la préfecture. 21 personnes ont été interpellées. Deux manifestants ont été blessés.
La mobilisation des « gilets jaunes » du 8 décembre en photos
« Vous êtes où ? Place Lyautey, on avait dit Bellecour. » Lyon, samedi 8 décembre, dans la matinée. Les « gilets jaunes » se cherchent. Disséminés dans toute la ville, ils peinent à se coordonner. Ils sont une vingtaine, place Bellecour. Un peu lassés des consignes contradictoires, lancées par les réseaux sociaux. Mais toujours aussi remontés contre le gouvernement. Leurs discours se focalisent sur le président de la République.
« Je trouve qu’il se comporte en dictateur. Il a tapé sur les classes moyennes, je reste persuadée qu’il va remettre des taxes en douce une fois ce bazar passé », dit Christine, 63 ans, comptable à Caluire. « Macron, c’est un pur produit marketing ce mec, j’en ai marre de ses postures, on ne votera plus, même pour ceux qui cherchent à tirer la couverture à eux », ajoute Nadia, 51 ans, aide-soignante dans un Ehpad. Dans les conversations véhémentes, des sujets reviennent en boucle : revenus à la limite de la rupture, fort sentiment d’inégalité, perte de confiance dans le pouvoir centralisé.
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Christophe, 52 ans, décrit sa situation : son couple dispose d’une revenu de 3 000 euros net, il doit parcourir trente kilomètres par jour pour aller au travail, avec sa voiture au diesel, et son fils de 35 ans reste à la maison parce qu’il ne peut pas se payer un loyer. Cet employé en logistique de Villeurbanne conclut : « On ne peut plus continuer comme ça, les riches profitent, nous on trime ». Sur sa pancarte en carton, il a inscrit au feutre : « Macron tu es fort avec les faibles, tu es faible face aux forts. » Les gilets jaunes partagent l’impression d’être dans l’impasse, souvent en colère.
« Social, climat, même combat »
Dans le Rhône, les actions les plus marquantes de la matinée se déroulent à Villefranche-sur-Saône, aux péages d’autoroute, à Givors, sur un rond-point. A Lyon, certains gilets jaunes décident de rejoindre la marche pour le climat, de l’autre côté du Rhône. Le contraste est saisissant, entre la mobilisation festive de 7 000 à 8 000 manifestants, plutôt jeunes, défilant de la place Jean Macé au quartier de la Guillotière, et les gilets jaunes qui font comme des pointillés dans la foule. Ambiance bruyante, dansante, bienveillante même, avec la volonté de ne pas opposer gilets jaunes et verts, pour la défense de la planète. « Non à la fin de moi », dit une pancarte. « Social, climat, même combat », dit une autre.
« Ici, il y a de la place pour tout le monde. On est pour la justice fiscale, les gilets jaunes ont une conscience écologique, les gros pollueurs, c’est les groupes mondiaux qui accentuent les inégalités », dit Pauline, 31 ans. A la fin du parcours, un homme en chasuble tente de regrouper les gilets jaunes. Il lance dans un porte-voix : « on ne se mélange pas avec eux, je viens d’avoir au téléphone le coordonnateur Rhône-Alpes. » Hésitation collective.
Une quinzaine de gilets jaunes se regroupe autour de lui, au bord du cours Gambetta. Les gilets verts ouvrent un passage. Et les intègrent finalement au cortège. A midi, la marche pour le climat se termine par un rassemblement joyeux, avec fanfare sur la berge du Rhône.
Lacrymogènes avant la fête des Lumières
Dans l’heure qui suit, la ville se reteinte en jaune. Plus de sept cents manifestants aux gilets fluo se retrouvent place Bellecour et dans les rues adjacentes. Ils traversent la Presqu’île de Lyon, jusqu’à l’hôtel de ville, sans incident. Les milliers de visiteurs, présents en ville pour la fête des Lumières, prennent des photos et font des selfies.
Il faut attendre la fin de l’après-midi pour que la situation se tende. Des groupes se fractionnent. Certains gilets jaunes installent un barrage filtrant aux carrefours stratégiques. Pagaille, cars de touristes bloqués, automobilistes énervés. Les policiers se déplacent à toute vitesse à chaque point de fixation. Des charges se déroulent sur les berges, rive gauche du Rhône, là où, plus tôt, se terminait dans la liesse la marche pour le climat. Les incidents les plus sérieux éclatent rue de la Barre. Un cordon de policiers est pris entre deux mouvements de foule. Un seul slogan : « Macron démission ! »
Puis, subitement, des jets de bouteilles. La réplique est immédiate. Tir de lacrymogènes, courses dans les rues. Des commerces tirent les rideaux, les touristes s’essuient les yeux, surpris par la tournure des événements. Les gilets jaunes se dissipent dans les fumées lacrymogènes et la nuit qui commence à tomber.
La journée prend une nouvelle tournure. La couleur vire au noir, celle des survêtements et des foulards des jeunes gens provoquant les policiers. Une autre violence apparaît. Inquiétante, au moment où doit débuter la soirée majeure du 8 décembre, avec plusieurs centaines de milliers de visiteurs attendus dans le centre de Lyon. Des groupes hostiles lancent des projectiles, courent et renversent des barrières.
En fin d’après-midi, on compte deux blessés, vingt-et-une interpellations, selon le bilan communiqué par la préfecture. Les policiers parviennent à rétablir l’ordre en début de soirée, avec l’appui d’un hélicoptère, éclairant la place d’un puissant projecteur. Le gaz se dissipe à peine lorsque la fête des Lumières commence, dans une atmosphère irritante.