« Gilets jaunes » : à Nantes, « on ne parle plus de bonheur mais de rémunération d’actionnaires »
« Gilets jaunes » : à Nantes, « on ne parle plus de bonheur mais de rémunération d’actionnaires »
Par Yan Gauchard (Nantes, correspondant)
A Nantes, les « gilets jaunes » ont reçu le renfort des participants de la marche pour le climat, de syndicalistes, et de militants anticapitalistes. Non sans tensions.
Des manifestants s’agenouillent face aux policiers à Nantes, le 8 décembre. / SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP
Ça commence par un tour de chauffe indolent. Une centaine de « gilets jaunes » rassemblés au niveau de la gare maritime, à Nantes (Loire-Atlantique), vue imprenable sur la Loire. « L’essentiel, c’est d’être présent, que les gens se montrent et soient non violents », dit Florian Thin, 33 ans, entrepreneur dans le domaine du sport. Avec un salaire de 2000 €/mois, M. Thin a « l’impression d’être riche par rapport à de nombreuses personnes. Mais je vis comme un moine : je ne bois pas, ne fume pas, ne sors pas. Si j’avais des enfants, alors ce serait une autre histoire, question pouvoir d’achat ».
Il n’a pas voté à la dernière présidentielle mais a failli glisser un bulletin pour François Asselineau (Ndlr : leader de l’Union populaire républicaine) au premier tour. « Que Macron démissionne ? Ça ne servirait à rien. C’est un pion. Le suivant appliquerait encore les grandes orientations de politique économique dictées par l’Europe de Juncker. Il faut retrouver plus de souveraineté. »
Le cortège opère un tour de ville au petit trot. A cette heure, David Babin, commercial de 46 ans, ne cache pas sa déception face à la faiblesse de la mobilisation. Père d’une adolescente, il gagne 1500 €/mois. Il a exercé plusieurs métiers, « gravi des échelons et connu des trous d’air, le chômage, les rendez-vous à Pôle emploi, le RSA ». Il sait, dit-il, ce que signifie « la galère » et appelle à une « hausse du pouvoir d’achat », via la revalorisation du Smic et des retraites. Lui qui n’a pas voté à la dernière présidentielle souhaite « la dissolution de l’Assemblée nationale », arguant : « il faut un plus grand équilibre. Faire entrer des gens ancrés dans la vie réelle, qui connaissent le coût des choses ».
« Il ne nous écoute pas, il nous prend de haut »
Fustigeant « l’arrogance de Macron », M. Babin ne réclame pas la démission du président de la République. « Il a récupéré une France abîmée », note-t-il avant de pester : « il ne nous écoute pas, il nous prend de haut. Il faut qu’il comprenne que la suspension de la hausse des taxes sur le carburant ne suffit pas. Beaucoup de gens ne sortent pas la tête de l’eau ».
M. Thin, lui, préconise « des référendums d’initiative populaire » sur chaque grand dossier influant sur la vie de la population. « Il est urgent de se soucier du bien-être des citoyens », expose-t-il. « Aujourd’hui, on ne parle plus de bonheur mais de rémunération d’actionnaires. »
Trois heures plus tard, les « gilets jaunes », en nombre bien plus fourni (1 400 selon les autorités), reprennent des couleurs grâce au renfort des marcheurs pour le climat. On voit aussi flotter des calicots de la CGT. Sans oublier, en tête de cortège, les militants anticapitalistes de « Nantes révoltée ».
Bravant la pluie, plus de 3 000 manifestants convergent vers la préfecture. Cette fois, les « Macron démission » fusent. « Je veux la démission du président et de toute sa clique », cingle Sandra, Nantaise de 47 ans au RSA après avoir « enchaîné 40 CDD à la Poste sans être titularisée ». « Macron m’insupporte », gronde celle qui a voté Marine Le Pen aux deux tours de la présidentielle, Hollande et Sarkozy avant. « Il nous prend pour des gueux, des illettrés. Il faut le destituer, le reste viendra ensuite. »
Eloïne, Nantaise de 22 ans ayant voté blanc, estime que « le président Macron a oublié qu’il avait été élu par peu de personnes ». La jeune femme, au chômage « malgré un BTS esthétique management », finit « chaque mois à découvert. Faut pourtant bien se loger et se nourrir ». Du mouvement des « gilets jaunes » émane, dit-elle, une « fraternité énorme. Les gens se rapprochent, se parlent. On est dans la même mouise, on se rend compte qu’on n’est pas les seuls à vivre dans le rouge tout le temps ».
Rideaux baissés
Un peu plus loin, la foule entonne que « ça va péter ». Juste prédiction. Aux abords de la préfecture, la tension monte. Des manifestants haranguent les policiers et rejouent, genoux à terre et mains sur la nuque, la scène subie par des lycéens de Mantes-la-Jolie au cours de la semaine écoulée. Très vite, nuages de grenades lacrymogènes et jets de projectiles se succèdent.
Le cortège est repoussé à coups de gaz, puis se scinde en groupes épars. Anticipant leur passage, les commerçants baissent rideau. Quatre magasins ont leurs vitrines brisées. Du mobilier urbain est dégradé. La tension ne faiblit pas. Les tirs de lacrymogène non plus. La violence, au final, est contenue, les dégâts limités.
Le mal est fait d’un point de vue économique, observe Julien Bonnet, 32 ans, gérant de « La bonne planchette », enseigne de vêtements de sports et de skates. Son chiffre d’affaires enregistre une baisse de 80%, à l’image du samedi précédent. Le jeune homme dit « comprendre la colère qui s’exprime et le ras-le-bol général mais la situation pénalise tout le monde. Pour nous, petits commerçants, cela devrait être le plus beau mois de l’année. Si dans une semaine, c’est la même chose, il y en a qui ne vont pas s’en relever ».
Au terme de la journée, la préfecture a annoncé que cinq fonctionnaires de police et trois manifestants avaient été « légèrement blessés ». Treize personnes ont été interpellées. « Si la grande partie des participants a manifesté dans le calme, une centaine de personnes étaient présentes dans le but unique d’agresser et de casser », déplore le préfet de région, Claude d’Harcourt.
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Durée : 02:12