A Rennes, des Trans Musicales riches de leur diversité
A Rennes, des Trans Musicales riches de leur diversité
Par Stéphane Davet (Rennes, envoyé spécial)
Quelque 58 000 spectateurs ont assisté aux 118 concerts de l’édition 2018, chiffre en léger recul par rapport à 2017.
La chanteuse kényane Muthoni Drummer Queen en concert lors des Trans Musicales à Rennes, le 7 décembre 2018. / SEBASTIEN SALOM GOMIS / AFP
« Qui est pour cette taxe ?… Qui est contre ?… Nous sommes avec vous ! » Le chanteur-guitariste new-yorkais de Bodega, Ben Hozie, a beau essayer de surfer sur la vindicte populaire pour électrifier un peu plus son show, les 4 000 spectateurs qui, samedi 8 décembre, emplissent le hall 3 du Parc Expo, semblent plus réceptifs au rock cisaillé de cet excellent quintette de Brooklyn qu’à sa solidarité avec les gilets jaunes.
Bodega - How Did This Happen?! (Live at The Current)
Durée : 03:04
A l’image d’une ville de Rennes épargnée par les violences, ces derniers week-ends, la quarantième édition des Trans Musicales, qui se tenait, du 5 au 9 décembre, dans le chef-lieu d’Ille-et-Vilaine, n’a que très peu résonné des conflits qui agitent le pays.
Si beaucoup de festivaliers se sont décidés à la dernière minute, sans doute par crainte d’éventuels blocages – suscitant son lot d’angoisse chez les organisateurs à quelques jours de l’événement –, ils ont tout de même été 58 000 à participer aux Trans 2018 (dont 32 000 spectateurs au Parc Expo, qui, dans la commune de Bruz, accueille l’essentiel du festival depuis 2004). Un bilan inférieur à l’année record de 2017 (62 000 participants, dont 34 000 au Parc Expo), mais sans risque économique pour l’événement.
« Un espace social »
« Dans un climat anxiogène de crise et d’affrontement, un festival comme les Trans est un espace social qui favorise l’échange et la convivialité », insiste Béatrice Macé, la directrice et cofondatrice de la manifestation avec le directeur artistique, Jean-Louis Brossard. Une conviction d’autant plus forte qu’elle se déploie dans une programmation militant depuis des années pour une curiosité transfrontalière, préférant les « nouvelles têtes » aux « têtes d’affiche » (seul Disiz La Peste en avait vaguement l’allure cette année).
En se libérant des vedettes, Jean-Louis Brossard s’éloigne aussi des pôles anglo-américains de l’industrie musicale. 33 nationalités (dont 20 extra-européennes) étaient ainsi représentées lors des 118 concerts donnés cette année (dont 56 au Parc Expo). Dominateur lors des premières éditions des Trans Musicales, le rock n’est pas loin de devenir minoritaire, même s’il peut encore susciter l’intense ferveur de musiciens comme les Parisiens de The Psychotic Monks, déchaînant un orage psychédélique, aux sons mieux maîtrisés que les mélodies.
De politique, il peut être parfois question. Sur le mode de la dérision, quand le Rennais Dombrance construit son set électro en s’inspirant de « grands fauves » tels Jean-Pierre Raffarin, François Fillon ou Jacques Chirac, dont les dessins kitsch projetés sur l’écran de fond de scène illustrent les morceaux disco-techno qui leur sont dédiés. Sur le mode iconoclaste, quand, vendredi 7 décembre, dans la petite salle de l’Ubu, le duo suisse de Cyril Cyril, au look oscillant entre vieux baba-cool et zadistes nantais, répète ses incantations – « Je prends les pavés, je lance les pavés » – sur fond hypnotique de folk-blues acoustique (percus et guitare ou banjo) tirant vers le minimalisme techno.
CYRIL CYRIL - SOUS LA MER C'EST CALME (OFFICIAL VIDEO)
Durée : 03:19
Une activiste aux atours de reine
L’affaire est plus sérieuse quand la chanteuse, rappeuse et percussionniste kényane, Muthoni Drummer Queen, profite d’un spectacle chorégraphié « à l’américaine », pour entrecouper ses mélanges ultra énergiques de hip-hop, reggae et soul (tirés de l’album She), de messages appelant à l’émancipation féminine. Dommage que cette activiste aux atours de reine – à la tête de deux festivals musicaux à Nairobi – s’éloigne autant des traditions musicales africaines, guidée par des beatmakers suisses privilégiant un format« international » manquant de finesse.
Muthoni Drummer Queen - Suzie Noma (OFFICIAL video)
Durée : 03:04
L’Afrique et ses mutations contemporaines n’en vibraient pas moins au cœur de multiples autres propositions. Qu’ils soient portés par des musiciens du continent – l’Angolaise exilée à Lisbonne, Pongo –, ou fruits de rencontres accélérant de passionnants métissages. A l’instar de l’afro-funk des Néerlandais d’Arp Frique, de la techno tribale de Nihiloxica (six percussionnistes ougandais propulsant l’électro de deux Anglais), de l’enthousiasmante fusion afro-latino-punk-funk des New-Yorkais d’Underground System, voire de celle des Bretons de Nâtah Big Band, dont la bombarde et l’accordéon de fest-noz, alliée à une impressionnante fanfare de cuivres, s’essaient parfois à des chaloupés subsahariens.
Une spiritualité inattendue
Souvent festives, les musiques nées de l’exil peuvent irradier une inépuisable mélancolie. Celle insufflée par les Arméniens de The Nagash Ensemble, le 7 décembre, incarnait un des moments hors du temps et des modes dont les Trans Musicales ont le secret. Quel autre festival pop peut ainsi se permettre de convier, au milieu de bacchanales hédonistes, l’intrigante majesté d’une formation, orchestrant avec trio vocal féminin, piano jazz contemporain et instruments traditionnels, des poèmes sur l’exil écrits, au XVe siècle, par le prêtre arménien Mgrditch Nagash ? Magnifiquement mises en son et lumière par l’équipe des Trans, ces harmonies entre sacré et modernisme ont injecté une spiritualité inattendue au cœur de la fête.
The Naghash Ensemble: Agahootyan
Durée : 02:49
Avec ce moment fort, l’autre sommet du festival a été atteint par une jeune fille de 25 ans, Aloïse Sauvage, dont les cinq représentations, données dans le petit théâtre de l’Aire Libre, ont subjugué la plupart des spectateurs qui découvraient cette création. Certes, on avait l’intuition que cette chanteuse-comédienne-danseuse-circassienne avait plus d’atouts que d’autres pour occuper une scène. Mais, à ce point-là…
Aloïse Sauvage - Aphone
Durée : 03:22
Après six jours en résidence dans cette salle de Saint-Jacques-de-la Lande, en banlieue rennaise, ce petit fauve athlétique a réussi à marier la diversité de ses pratiques pour intensifier ses slams à vif. Accompagnée d’un batteur et d’un claviériste, celle qui donnait son premier concert il y a un an à peine, a dansé, voltigé (accrochée à un micro suspendu) et chanté avec une grâce et une intensité émotionnelle aussi bluffante que sa capacité à dialoguer avec son public, en Madame Loyal drôle et spontanée. Son premier album est en préparation. On a hâte de voir et d’entendre ça.