En zone rurale et périurbaine, Rezo Pouce veut « mettre fin à la voiture en solitaire »
En zone rurale et périurbaine, Rezo Pouce veut « mettre fin à la voiture en solitaire »
Par Cécile Bouanchaud (Sète, envoyée spéciale)
#UrgenceClimat. Rezo Pouce, un système d’auto-stop organisé, s’est installé dans 1 600 communes, proposant une alternative à « l’auto-solisme » et au manque de transports en commun.
Rezo Pouce, un système d’auto-stop organisé, s’est installé dans 1 600 communes et propose une alternative à « l’auto-solisme » et au manque de transports en commun. / Rezo Pouce
C’est l’histoire de Léon, qui a raté son bus et devra attendre deux heures pour retrouver ses potes du « village d’à côté ». C’est aussi l’histoire d’Henriette et de ses « yeux trop abîmés » pour prendre le volant et aller acheter de quoi accueillir ses petits-enfants, le dimanche suivant. Et puis il y a Stéphane, toujours en voiture « parce que les transports en commun ne font pas rêver ». C’est l’histoire de cette France rurale et périurbaine, peu couverte en transports publics alors qu’elle représente 40 % de la population française, selon les chiffres de 2013 du Centre d’analyse stratégique (CAS).
« Dans ces territoires, l’offre de transport est insuffisante, et quand elle existe, il n’y a pas d’harmonisation entre les différents modes de mobilité », constate Alain Jean, ancien conseiller municipal de Moissac (Tarn-et-Garonne) chargé du développement durable. En 2010, il a lancé un projet visant à apporter une alternative à « la voiture en solitaire » et au manque de transports en commun : un système gratuit de stop organisé qui regroupe un réseau de conducteurs et de passagers prêts à voyager ensemble, sur des courtes distances.
« Réduire la place de la voiture »
Baptisé « Rezo Pouce », il est aujourd’hui implanté dans 1 600 communes. A Moissac, ville de plus de 12 000 habitants, 6 % de la population y est inscrite. En septembre, le dispositif a été lancé dans l’agglomération de Sète (Hérault), où 60 % des administrés utilisent leur voiture, 2 % le vélo et 5 % les transports en commun. « Notre but est de réduire la place de la voiture, mais nous savons que notre projet passe par la proposition d’alternatives diverses », précise Norbert Chaplin, délégué aux politiques de mobilité au sein de l’agglomération, qui cite aussi le développement de réseaux de bus et de vélos électriques.
Fin novembre, l’heure est à l’expérimentation. Pancarte à la main, installée au bord de la D2 devant l’un des 85 « arrêts Rezo Pouce » de l’agglomération de Sète, l’attente sera de quelques secondes – elle ne durera guère plus lors des trajets suivants. En nous voyant, Luc s’est arrêté tout de suite. Comme de nombreux autres conducteurs, il se souvient de sa jeunesse où il faisait du stop « sans se poser de question ». Aujourd’hui pourtant, le quinquagénaire confesse « un besoin d’être tranquillisé » vis-à-vis de cette pratique.
« Lorsque nous avons pensé ce projet, il a été nécessaire de réfléchir aux moyens de désamorcer les inquiétudes liées à cette pratique », reconnaît Alain Jean en listant les questions récurrentes : « Combien de temps vais-je attendre ? Comment vais-je revenir ? Est-ce que je ne vais pas me faire importuner ? » Pour intégrer le réseau, les utilisateurs doivent donc au préalable s’être inscrits sur Internet ou auprès de leur mairie. Une démarche qui leur donne accès à une carte d’adhérent et à un prototype de pancarte, sur laquelle ils pourront inscrire leur destination.
Compenser un manque de transports en commun
Notre pancarte indiquant « Sète » et l’arrêt « certifié Rezo Pouce » ont donc rassuré Luc, qui s’excuse du fatras laissé dans son véhicule. « On sort progressivement du culte bourgeois de la voiture, qui devient de plus en plus un produit d’usage que l’on est prêt à partager », constate-t-il.
En s’arrêtant, Daniel, notre deuxième conducteur, pense que nous faisons partie des « victimes des transports en commun ». « Vous avez eu un problème de bus ? », interroge-t-il, lui qui ne le prend jamais. L’ancien photographe de 71 ans effectue pourtant régulièrement le trajet Montbazin-Sète, pour rendre visite à son amie. Ces deux communes, situées à vingt minutes l’une de l’autre, illustrent l’une des lacunes des transports en commun en milieu rural : « Les réseaux convergent tous vers le centre et non pas d’un hameau vers un hameau », observe Alain Jean.
Rezo Pouce vient, selon lui, « compenser cette insuffisance ». Surtout, un système comme celui-ci établit un maillage sur un territoire que les bus ne pourraient couvrir dans leur intégralité, la mise en place d’un réseau de bus coûtant entre « 150 000 et 300 000 euros », selon Alain Jean. L’agglomération de Sète, qui compte quatorze communes, a la spécificité d’être particulièrement étendue – plus de 45 kilomètres d’est en ouest, soit environ la distance que nous avons parcourue dans la journée. « Un trajet moyen avec Rezo Pouce est de 15 kilomètres », fait savoir Jean Marchand, chargé de la mission mobilité durable, alors qu’en moyenne, en France, 75 % des trajets en voiture font moins de 10 kilomètres.
Pour l’heure, dans l’agglomération, seules 250 personnes ont adhéré à Rezo Pouce. Et les conducteurs interrogés ne semblent pas prêts a renoncé à leur voiture, condition de leur autonomie. Tous, en revanche, se disent prêts à la partager, pourquoi pas en adhérant au réseau.
« Repenser la mobilité »
« Au fil des années, la ville n’a cessé de s’agrandir, c’est une réalité qui nous pousse à repenser la mobilité », considère Thierry, 58 ans et autant d’années passées à Sète. S’il essaie de moins prendre sa voiture pour réduire ses dépenses, il l’utilise toujours pour faire ses courses, « puisque les commerces sont désormais en périphérie ».
« Tout ferme en zone rurale, les médecins et les commerces, donc la voiture reste indispensable, abonde Alain Jean, qui précise que l’objectif de Rezo Pouce n’est pas de la bannir de ces zones. Nous souhaitons juste prouver que, face à l’urgence climatique et à l’augmentation des prix du carburant, il n’y a pas d’autres solutions que de partager son mode de déplacement ».
Derrière son volant, il observe le défilé ininterrompu de véhicules : « Regardez le nombre de personnes seules à l’intérieur ! » D’après la dernière enquête nationale transports et déplacements (ENTD), publiée en 2008, 83 % des kilomètres parcourus sont effectués en voiture et, dans 67 % des cas, avec une seule personne à bord.
Comment agir pour le climat ? « Le Monde » se mobilise pendant une semaine
Que faire face au défi du changement climatique ? Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective ? Les initiatives citoyennes ont-elles un sens alors que c’est tout le système qu’il faudrait faire évoluer pour espérer limiter les effets du dérèglement ? Alors que la COP24 sur le climat s’est ouverte, dimanche 2 décembre, en Pologne, la rédaction du Monde se mobilise autour de ces questions. Au-delà du constat de l’urgence, nous avons voulu nous interroger sur les solutions existantes ou à explorer.
Chaque jour, pendant une semaine, des personnalités, expertes de leur domaine et engagées au quotidien, répondront en direct aux questions des internautes :
- Peut-on se passer de la voiture ? Posez vos questions à Jérémie Almosni, chef du service Transport et mobilités à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), lundi 10 décembre à 14 heures.
- Peut-on continuer à manger autant de viande ? Le chef cuistot Adrien Zedda, du resto lyonnais Culina Hortus (à 9 h 30) et Cyrielle Denhartigh, responsable agriculture et alimentation pour Réseau Action Climat (à 14 heures), répondront à vos questions, mardi.
- Peut-on se chauffer autrement ? Dialoguez avec Jean-Baptiste Lebrun, directeur du CLER – réseau pour la transition énergétique, mercredi à 11 h 45.
- Peut-on consommer moins ? Le politologue Paul Ariès discutera avec les internautes jeudi à 14 h 30.
- Et, finalement, peut-on peser collectivement ? Le youtubeur écolo Nicolas Meyrieux, engagé dans la campagne « On est prêt », répondra à vos questions vendredi à 17 heures.