« J’ai arrêté de manger de la viande par souci écologique. » Cinq Français témoignent
« J’ai arrêté de manger de la viande par souci écologique. » Cinq Français témoignent
Par Jérémie Lamothe
#UrgenceClimat. La production de viande est nocive pour l’environnement. Melinda, Tanguy, Franck, Michael et Marie-Anne expliquent pourquoi ils n’en consomment plus.
Pendant une semaine, Le Monde s’interroge sur les manières de lutter contre le dérèglement climatique. Ce mardi : peut-on continuer à manger autant de viande ? Alors que sa production est nocive pour la planète, cinq Français nous expliquent pourquoi ils ont décidé de ne plus en consommer.
Melinda, 29 ans, travaille en région parisienne dans une association œuvrant pour la transition énergétique.
« De fil en aiguille, j’ai changé beaucoup de choses dans ma vie quotidienne »
« J’ai toujours été sensible aux questions environnementales, mais je mangeais de la viande tous les jours sans me poser de questions. Quand je voyais passer un article sur l’impact de l’élevage sur le climat, je restais persuadée que c’était une invention de quelques scientifiques farfelus. Il y a sept ans, on parlait beaucoup moins de ce sujet, et je ne connaissais aucun végétarien. La culture française est tellement orientée vers la viande que c’était difficile pour moi de concevoir un autre mode d’alimentation !
Le déclic est venu d’un livre prêté par mon père, Toxic, du journaliste William Reymond [Editions Flammarion, 2009]. Un passage du bouquin évoquait les lagons aux Etats-Unis, ces “piscines” géantes creusées pour accueillir le lisier et les excréments issus de l’élevage industriel, et leurs multiples répercussions, dues aux émanations toxiques, sur la santé des riverains et la biodiversité. En lisant ça je me suis dit : “Soit l’auteur exagère vraiment, soit ces problèmes ne concernent que les Etats-Unis”.
J’ai voulu vérifier par moi-même ce qu’il en était, et ça n’a été que le début de mes découvertes. J’ai été sidérée à la lecture de rapports de la FAO [Organisation des Nations unies pour l’alimentation], du GIEC [Groupement d’experts sur le climat], de la Banque mondiale, de Foodwatch et de multiples articles scientifiques qui ne laissaient plus place au doute : l’impact de l’élevage à grande échelle sur le climat et les écosystèmes était absolument désastreux ! Première source de gaz à effet de serre, de déforestation, pollution de l’eau et des sols, surpêche, pluies acides, etc. C’était trop pour moi. Au départ, je pensais pouvoir simplement réduire ma consommation de produits animaux, mais plus je me documentais et moins j’éprouvais de plaisir à déguster un steak. J’ai alors décidé de devenir végétarienne.
Mon père a été catastrophé par la nouvelle, lui qui cuisinait pour toute la famille. Comme j’avais du mal à en discuter avec lui, j’ai rédigé un long document compilant toutes mes sources pour lui expliquer, et il a commencé à mieux comprendre ma démarche.
Cette transition vers le végétarisme m’a aussi poussée à me pencher de manière globale sur l’impact environnemental de mon alimentation. Pour remplacer la viande et le poisson, je me suis notamment tournée vers les légumineuses (lentilles, haricots, pois chiches, fèves, etc.) et les céréales complètes, en privilégiant les produits en vrac, locaux et non transformés. De fil en aiguille, j’ai changé beaucoup de choses dans ma vie quotidienne, en essayant de réduire au maximum le gaspillage alimentaire, de me rapprocher du “zéro déchet”, ou encore d’acheter des produits reconditionnés ou d’occasion et de fabriquer mes propres produits d’entretien. J’ai même changé de travail pour intégrer une association qui vise à favoriser la transition énergétique !
Est-ce que la motivation de quelques individus peut vraiment compter ? Bien sûr ! J’ai constaté par moi-même l’impact réel qu’une décision individuelle peut avoir : autour de moi, ce changement a fait boule de neige, et beaucoup de mes proches, amis et collègues ont modifié leur alimentation. Des restaurants ont ajouté un plat végétarien à la carte parce que je n’étais pas la première à le leur demander. Sans changements individuels, un changement collectif est-il vraiment possible ? Je suis sûre que non. »
Kim Baschet / Le Monde
Tanguy, 28 ans, est professeur des écoles à Montpellier.
« Si on attend que nos dirigeants prennent l’initiative de faire bouger le système, on risque d’attendre longtemps »
« Ma famille mangeait régulièrement de la viande, mon père est même fils et frère d’éleveur. Mon passage au végétarisme s’est fait progressivement : je me suis intéressé à l’écologie à partir du lycée et c’est devenu concret pendant mes études supérieures. Un semestre passé en Allemagne pendant mon master en économie quantitative a été une étape importante, puisque plusieurs de mes amis là-bas étaient végétariens. Cela m’a motivé à franchir le pas et à manger moins de viande.
Des interrogations évidentes ont suivi : est-ce sain ? Que puis-je manger à la place de la viande ? J’ai pris le temps de m’informer en lisant notamment des revues scientifiques. Puis, au bout d’un an, j’ai complètement arrêté de cuisiner de la viande. Au début, je ne cherchais pas particulièrement à parler de ce changement autour de moi ; d’ailleurs quand j’étais invité, je mangeais ce qu’on me servait pour ne pas déranger et éviter un sujet plutôt polémique. Mais au fil du temps, cet équilibre est devenu compliqué à assumer : si je mange une fois du jambon de temps en temps, où fixer la limite ? Il y a cinq ans, par besoin de cohérence, j’ai décidé de complètement arrêter la consommation de viande. J’en ai profité pour repenser un peu toute mon alimentation. Je prends aussi des compléments de vitamine B12, dont on peut difficilement se passer quand on est végétarien.
Mon végétarisme entre dans une démarche écologiste. Au quotidien, j’essaie de me demander, autant que possible, à propos des décisions que je prends : “Si tout le monde en faisait autant, est-ce que ce serait viable ? Si ce n’est pas le cas, existe-t-il des alternatives réalistes ?” Au-delà de mon alimentation, j’essaie donc, par exemple, de consommer moins et aussi local que possible, de voyager moins et de privilégier le train à l’avion, d’acheter en vrac… J’ai aussi changé de banque. Je sais qu’il me reste encore plein d’autres choses à revoir, réduire ma dépendance au plastique, par exemple. Il est tout à fait possible de vivre de manière soutenable sans revenir au Moyen Age et en vivant bien, mais cela demande des efforts et du temps.
Il sera difficile d’atténuer l’ampleur de la catastrophe environnementale en cours sans en passer par les décideurs politiques. Mais si on attend que nos dirigeants prennent l’initiative de faire bouger le système, on risque d’attendre longtemps. J’ai des amis qui ont opté pour un certain fatalisme et disent : “Que je fasse des efforts ou non à mon échelle, la planète court à la catastrophe environnementale, donc je continue comme si de rien n’était.” Je comprends ce point de vue. Vous aurez compris que je ne le partage pas. »
Franck, 55 ans, est vétérinaire à Moulins (Allier).
« Il est plus simple d’arrêter de manger de la viande que de ne plus prendre sa voiture »
« Je mangeais de la viande comme tout le monde. Au restaurant, par exemple, c’est dur d’y échapper. Puis en 2012, j’ai réalisé que manger de la viande, du poisson, des mollusques, tous les êtres vivants en fait, épuisait la planète et faisait de moi un pollueur.
Il y a eu plusieurs raisons à ce changement. J’ai eu une prise de conscience après la lecture de Faut-il manger les animaux ?, de Jonathan Safran Foer [Editions L’Olivier, 2012]. Il m’a fait comprendre que notre bulletin de vote se trouvait aussi dans notre assiette. J’en ai ensuite beaucoup parlé autour de moi, et à un moment, je me suis demandé si ma vocation de vétérinaire, qui doit soigner des animaux, pouvait être compatible avec la consommation de viande et l’abattage d’êtres vivants. Je me suis aussi rendu compte de l’impact de l’élevage pour la planète sur la déforestation, les gaz à effet de serre, etc. Les effets collatéraux sont colossaux.
Au départ, mes proches ont été un peu surpris, mais finalement toute la famille a basculé de manière progressive. Ma femme n’aimait pas du tout la viande, même si elle ne l’avait jamais dit. Bien sûr, il y a eu quelques débats, voire des tensions, mais chacun y est allé à son rythme. Le changement s’est fait facilement et nous mangeons plein de bonnes choses. Je n’ai pas perdu de poids, comme certains le prédisaient… Il y a une vraie désinformation sur les risques du végétarisme.
Quand je voyage à l’étranger, je peux facilement avoir accès à des produits végétariens, même, par exemple, dans des coins reculés de Pologne. Il n’y a qu’en France où il y a autant de résistance, les lobbys sont encore très importants. Mais ici aussi j’observe, malgré tout, une vraie évolution des mentalités.
Il est plus simple d’arrêter de consommer de la viande que de ne plus se déplacer en voiture. Et le potentiel est énorme, même s’il faut prendre en compte les pays en voie de développement. Je suis persuadé qu’un arrêt complet de la filière de production animale industrielle et de la pêche intensive aurait un effet considérable sur l’environnement et le climat. »
Kim Baschet / Le Monde
Michael, 40 ans, est cadre dans une entreprise d’aéronautique à Pau (Pyrénées-Atlantiques).
« Au départ, nos proches ne comprenaient pas : “Mais qu’est-ce que vous allez manger ?” »
« Avant, je mangeais de la viande tous les jours. L’idée de la supprimer de mon alimentation ne m’avait pas effleuré l’esprit. C’est une question que je ne voulais pas me poser. Pourtant, dans le cadre de mes études, j’ai été sensibilisé aux questions environnementales.
En janvier 2017, j’ai regardé le documentaire de trop, Cowspiracy [un film de Kip Andersen et Keegan Kuhn sorti en 2014, qui traite de l’impact de l’agriculture animale sur l’environnement]. Il m’a fait prendre conscience de tout ça. Je me suis rendu compte que les petits gestes – éteindre la lumière, ne pas utiliser trop d’eau, trier ses déchets, etc. – ne pesaient rien en termes d’impact sur l’environnement par rapport au fait de manger un steak. Un steak, ce sont des centaines de litre d’eau consommés et des kilos de CO2 émis. Je suis ensuite allé voir mon frigo : il était rempli de produits d’origine animale. Je me suis dit : “Ce n’est pas possible, ça doit changer.” J’ai fait regarder le film à mes enfants et ma femme ; je ne voulais pas être seul dans la prise de conscience. On a alors décidé tous ensemble de passer aux repas végétariens.
Après un mois de sevrage, j’étais écœuré quand je passais dans les rayons boucherie des supermarchés. Nous avons découvert des produits que nous ne connaissions pas comme le seitan, le tofu, les algues… Je me suis beaucoup renseigné pour voir ce qui pouvait remplacer la viande, j’ai acheté des bouquins de cuisine végétarienne avec des recettes excellentes. On équilibre nos repas avec des légumineuses, des œufs, du fromage… On reste toutefois pesco-végétariens, l’impact du poisson et des crustacés étant moindre au niveau CO2 que celui de la viande.
Mes filles me remercient aujourd’hui de m’investir dans la cuisine. Il était important qu’elles suivent leur propre chemin et qu’elles aillent à leur rythme. On n’imagine pas faire marche arrière. Même au niveau financier, on y gagne, car la viande coûte plus cher que les légumes. C’est aussi bénéfique en matière de santé, je me sens mieux et j’en profite pour perdre quelques kilos. Je suis plus en phase avec mes convictions. C’est une super-expérience même si ça oblige à se poser plein des questions.
Devenir végétarien a d’ailleurs un impact social qu’on n’imaginait pas. Au départ, nos proches ne comprenaient pas : “Mais qu’est-ce que vous allez manger ?” “Comment allez-vous vous adapter ?” Ils n’ont pas changé leurs habitudes mais prennent désormais en compte les nôtres et sont devenus plus compréhensifs.
Je peux difficilement modifier mes habitudes de voyage ou de mode de déplacement, donc changer mon alimentation est l’acte à ma portée qui a le plus d’impact. Aller vers un changement de système plus global pour lutter contre le réchauffement ? Cela demande du courage des deux côtés : chez les consommateurs et chez les politiques. Plus il y a des gens sensibilisés à la question environnementale, plus ça aura d’impact. Et plus on aura des politiques qui sauront prendre des décisions courageuses, plus le système pourra évoluer. Il faut de la bonne volonté des deux côtés, un gros travail d’explication, d’éducation – qui prend du temps… Mais la planète n’attend pas. »
Kim Baschet / Le Monde
Marie-Anne, 29 ans, travaille dans le secteur du marketing digital à Berlin, en Allemagne.
« Pourquoi ne taxerait-on pas les burgers ? »
« Avec mon mari, nous avons eu le déclic pour devenir végétariens en partant vivre en Allemagne, en 2014. Malheureusement, avant cela, nous n’avions pas idée que l’industrie de la viande contribuait autant aux émissions de gaz à effet de serre. A l’époque, c’était un sujet marginal dans les médias. De plus, le marketing autour des produits de viande et laitiers donne une image faussée de la réalité des conditions de vie des animaux, et donc de la qualité à laquelle on peut s’attendre. Le consommateur n’est pas encouragé à se poser des questions. Avant Berlin, on mangeait de la viande selon les habitudes de notre entourage, soit environ cinq fois par semaine.
A Berlin, ville très écolo, les options pour très bien manger végétarien ou végan sont nombreuses, beaucoup de personnes rencontrées étaient flexitariennes, végétariennes ou véganes. En France, les restaurants offrent peu d’options de ce type. Un week-end sportif avec des amis, à l’été 2015, a été particulièrement marquant. Nous avons fait une quarantaine de kilomètres en canoë-kayak, et le couple le plus rapide était végétarien. La femme, végétalienne, était pourtant enceinte de plus de six mois. On a partagé nos repas et pu en apprendre un peu plus.
Ensuite, une collègue nous a recommandé le documentaire Cowspiracy. On a été totalement surpris de voir l’impact de la production de viande sur l’environnement. Selon ce documentaire par exemple, manger un burger correspond à deux mois de douches en termes de quantité d’eau. L’Amazonie est déforestée pour la culture du soja qui sert à nourrir les bœufs. 25 % des émissions de gaz à effet de serre viennent de l’industrie de la viande [la FAO parle de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre qui sont dus à l’élevage]. Réduire notre consommation de viande a un impact bien plus élevé que couper l’eau lors du brossage de dents, par exemple.
Nous sommes flexitariens depuis quatre ans, et en très bonne santé. Il peut nous arriver de manger de la viande, mais de manière exceptionnelle, et il faut qu’elle soit d’excellente qualité. On a remplacé la viande par des lentilles, des pois chiches, des haricots noirs ou blancs, des brocolis, du tofu, toutes sortes de noix… La cuisine végétarienne est très inventive. On peut faire de très bons gâteaux au chocolat en utilisant du bicarbonate de soude à la place d’œufs ! On ne mange également plus de poissons et nous avons réduit notre consommation de lait et d’œufs. Pendant ma grossesse, les médecins n’ont décelé aucun manque.
Pourquoi ne taxerait-on pas les produits qui sont les plus nocifs pour l’environnement ? Il pourrait, par exemple, y avoir une taxe sur les burgers. Les gens réduiraient leur consommation… Les actions individuelles sont importantes, mais le système doit encourager ces bonnes initiatives. Et puis, il y a beaucoup d’opportunités de business derrière : un vrai marché s’ouvre en termes de produits alimentaires végétariens. Cela pourrait booster l’économie française, qui sait !
Comment agir pour le climat ? « Le Monde » se mobilise pendant une semaine
Que faire face au défi du changement climatique ? Comment agir, concrètement, à l’échelle individuelle ou collective ? Les initiatives citoyennes ont-elles un sens alors que c’est tout le système qu’il faudrait faire évoluer pour espérer limiter les effets du dérèglement ? Alors que la COP24 sur le climat s’est ouverte, dimanche 2 décembre, en Pologne, la rédaction du Monde se mobilise autour de ces questions. Au-delà du constat de l’urgence, nous avons voulu nous interroger sur les solutions existantes ou à explorer.
Chaque jour, pendant une semaine, des personnalités, expertes de leur domaine et engagées au quotidien, répondront en direct aux questions des internautes :
- Peut-on se passer de la voiture ? Jérémie Almosni, chef du service Transport et mobilités à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), a répondu aux questions des internautes lundi 10 décembre.
- Peut-on continuer à manger autant de viande ? Le chef cuistot Adrien Zedda, du resto lyonnais Culina Hortus et Cyrielle Denhartigh, responsable agriculture et alimentation pour Réseau Action Climat (à 14 h 30), répondront à vos questions, mardi.
- Peut-on se chauffer autrement ? Dialoguez avec Jean-Baptiste Lebrun, directeur du CLER – réseau pour la transition énergétique, mercredi à 11 h 45.
- Peut-on consommer moins ? Le politologue Paul Ariès discutera avec les internautes jeudi à 14 h 30.
- Et, finalement, peut-on peser collectivement ? Le youtubeur écolo Nicolas Meyrieux, engagé dans la campagne « On est prêt », répondra à vos questions vendredi à 17 heures.