Après trois mois d’atermoiements, Jean de Loisy prend la tête de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris (Ensba). Il a été nommé à ce poste par le ministre de la culture, Franck Riester, mercredi 12 décembre. Il quittera le Palais de Tokyo, qu’il dirige depuis juin 2011, juste avant la trêve des confiseurs, pour une prise de fonction effective, le 5 janvier 2019. Nommé par la rumeur avant même que tous les autres candidats (Stéphanie Moisdon, Simon Njami et Sylvain Lizon) aient été auditionnés, l’énergique sexagénaire est en fait déjà au travail depuis plusieurs semaines, en sourdine.

La tâche qui l’attend est d’envergure. Le poste lui-même est-il maudit ? Les missions de ses deux prédécesseurs ont en tout cas avorté, sur fond de polémiques à multiples facettes. A Nicolas Bourriaud, on reprochait de s’être isolé dans la fonction, de n’avoir su écouter les étudiants, et/ou d’avoir vendu l’école au grand capital (il lui fallait lever d’importants fonds pour restaurer des bâtiments historiques en piteux état). Quant à Jean-Marc Bustamante, poussé à la retraite par Françoise Nyssen en juillet, il n’aurait pas pris en main assez fermement les questions de harcèlement sexuel et moral, après plusieurs affaires ayant émergé à l’automne 2017, dans le sillage de #metoo. Enfariné par quelques étudiants lors d’une cérémonie début juillet, il a été invité à prendre la porte après deux ans en fonction.

C’est donc dans une école blessée que Jean de Loisy, 61 ans, va débarquer, pour ce qui devrait être son dernier poste si la malédiction l’épargne. Il s’y est préparé de longue date : il y a sept ans déjà, le ministère lui avait promis l’Ensba avant que, coup de théâtre, il n’accepte un Palais de Tokyo alors également en pleine redéfinition.

Pompier de service ? Ce n’est pas que ce pensent les signataires d’une tribune publiée le 8 novembre sur Médiapart pour s’opposer à sa possible nomination : « Cette école n’a pas besoin d’une personnalité dont la carrière a déjà été largement tracée et pour laquelle l’activité de directeur d’école sera surtout mise au service d’une confirmation, voire d’une capitalisation de ses relations avec le monde de l’art et d’un prestige déjà largement acquis », clamaient les opposants, artistes, commissaires ou galeristes, désireux de voir enfin les genres et générations se renouveler à la tête des écoles d’art et musées de France.

Une charte d’éthique

Franck Riester ne les a pas entendus, cette fois-ci en tout cas, et a entériné le nom de Jean de Loisy retenu auparavant par Françoise Nyssen. Mais cette tribune, dont on sait qu’elle ne l’a pas laissé indifférent, aura au moins eu pour effet d’alerter Jean de Loisy sur l’urgence à prendre en compte ces questions qui dépassent le cadre de la pédagogie. Sept plaintes pour racisme, déposées au printemps par le personnel enseignant soutenu par le MRAP et jugées « gravissimes » par l’avocat de l’association, font actuellement l’objet d’une enquête de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) et devraient aboutir à un procès au pénal qui secouera l’école.

A l’origine d’une charte d’éthique entérinée en juillet par son conseil d’administration, l’Ensba devra désormais s’efforcer de l’appliquer de la façon la plus stricte. La mise à l’écart, pour quatre mois, d’un des professeurs les plus visés par les plaintes des étudiants, annoncée en septembre, est-elle un signal à l’attention de la communauté des enseignants ? Ceux-ci se sont en tout cas écharpés durant toute l’année 2017-2018 autour de ces questions, les uns défendant le point de vue « pacificateur » de Jean-Marc Bustamante, attaché comme il l’avait dit au Monde à « rassurer » les professeurs suspectés de gestes ou propos déplacés, les autres regroupés autour de la directrice des études, Joan Ayrton, qui penchait plutôt vers le « zéro tolérance », tout en refusant de lancer des noms à la vindicte publique.

C’est donc ce corps professoral qu’il faudra avant tout apaiser, voire cicatriser

C’est donc ce corps professoral qu’il faudra avant tout apaiser, voire cicatriser. De nouvelles « greffes » devraient aider au processus : dans les deux ans à venir, quinze postes d’artistes-enseignants seront à pourvoir pour cause de départ à la retraite, soit quasiment un tiers du corps professoral. Du jamais vu dans l’histoire récente de l’école, riche de 650 élèves. Jean de Loisy compte bien en profiter pour façonner à sa façon la silhouette du projet pédagogique.

Quant au musée, dont son prédécesseur avait fait son grand combat en obtenant le label Musée de France, il l’envisage comme un outil au service de la pédagogie, et non comme une réflexion prioritaire. Autre chantier essentiel sur lequel il axe son projet : l’insertion professionnelle des anciens élèves, qui demeure chaotique, et pourrait être renforcée notamment par une ouverture sur les métiers de l’exposition. Enfin, à l’instar d’une école comme CalArts (California Institute of the Arts) qui a profondément façonné le paysage de Los Angeles, Jean de Loisy promet de faire de l’Ensba, dotée d’ateliers près de la Seine mais aussi à Saint-Ouen, un des cœurs battants du nouveau Grand Paris.