Le milliardaire Sir David Barclay veut interdire une pièce de théâtre racontant son histoire
Le milliardaire Sir David Barclay veut interdire une pièce de théâtre racontant son histoire
Par Mathilde Damgé
Une pièce de théâtre revient sur l’épopée des jumeaux propriétaires de l’île anglo-normande de Brecqhou. Le procès aura lieu à Caen, en mai 2019.
Tout juste anoblis par la reine, les frères jumeaux Barclay montrent avec fierté leur insigne de chevalier, dans la cour du palais de Buckingham. Cette photo, qui date de 2000, est l’une des rares que l’on possède de Sir David et Sir Frederick. / MICHAEL STEPHENS / AFP
Ils n’ont aucun lien avec la banque du même nom, mais ils n’en sont pas moins proches de la City. Les frères Barclay sont une légende à eux seuls : propriétaires du Ritz de Londres et du quotidien britannique Daily Telegraph, annoblis par la reine en 2000, les Ecossais sont partis de rien pour construire un empire et faire tomber l’un des derniers systèmes féodaux d’Europe, celui de l’île anglo-normande de Sercq, en achetant l’îlot voisin de Brecqhou.
C’est cette épopée, et en particulier l’affrontement avec l’ancien droit normand, que raconte la pièce Les Deux Frères et les lions... mais pour combien de temps encore ? Car elle pourrait être interdite : Sir David Barclay a déposé plainte en juin pour atteinte au respect de la vie privée et diffamation. Révélée par le quotidien régional Ouest France, l’affaire devrait connaître son dénouement l’année prochaine ; le procès aura lieu le 13 mai à Caen.
Affiche de la pièce « Les Deux frères et les lions ». / Théâtre de poche Montparnasse
Cette « fable sur le capitalisme », créée en 2012 suite à une commande de la Scène nationale de Cherbourg, a valu à son auteur, Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, succès et récompenses (prix Jean-Jacques Gautier, Coup de cœur du club de la presse au Festival d’Avignon)... mais aussi beaucoup d’ennuis. « L’attaque a été particulièrement violente, raconte Hédi Tillette : interdiction de la pièce, fin de la commercialisation du texte, dommages et intérêts à hauteur de 100 000 euros... »
La pièce a été jouée 250 fois et doit être reprise à partir du 8 janvier au Théâtre de Poche-Montparnasse, dont le directeur, le journaliste Philippe Tesson, est également visé par la plainte de Sir David Barclay, selon Ouest France. Pour leur avocat, Olivier Morice, il s’agit d’une « volonté délibérée de bâillonner la liberté de création ». « Nous démontrerons que la pièce est une fable satirique sur le capitalisme. Rien ne peut justifier les accusations d’atteinte au respect de la vie privée et de diffamation. »
Une réputation sulfureuse
Ce n’est pas la première fois que les Barclay défraient la chronique : lorsqu’ils acquièrent en 1993 le vaste château, copie d’un manoir de style Tudor du XVIe siècle, sur l’îlot et – paradis fiscal – de Brecqhou, ils s’opposent, « au nom de la démocratie », à l’un des plus vieux systèmes féodaux du monde (les premières élections, en 2008, ne leur profiteront pas) et vont jusqu’à mettre en place un blocus contre les habitants de Sercq.
Hommes d’affaires redoutables, ils s’emparent en 2004 du groupe Daily Telegraph et de son quotidien-phare, le plus fort tirage de la presse britannique de qualité. Son principal éditorialiste politique en démissionnera onze ans plus tard, accusant la banque HSBC, l’un des plus gros annonceurs du titre, de faire pression sur la rédaction pour taire le scandale des « Swiss Leaks ».
Brecquou a échappé au baillage exercé par Jersey et Guernesey sur les sept îles qui forment l'archipel anglo-normand (Aurigny, Sercq, Jethou, Herm, les Ecréous, Roches-Douvres, les Minquiers). Sur ce caillou long de moins d’un kilomètre, protégé par de hautes falaises, les hommes d’affaires Frederick et David Barclay ont niché leur fief. / Wikipedia/CC-BY-SA 2.0.
N’hésitant pas à porter plainte en France, où la violation de la vie privée des personnalités est plus durement sanctionnée qu’en Grande-Bretagne, les deux frères prennent argument de la vente des journaux britanniques dans l’Hexagone pour contrer les journalistes britanniques. En 2008, ils ont ainsi saisi un tribunal de Saint-Malo afin de neutraliser un journaliste d’investigation, John Sweeney, qui enquêtait sur eux.
« De ces deux frères méprisés par l’establishment britannique puis anoblis par la reine, j’ai fait des personnages de fiction, justifie Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre. En devenant une des plus grosses fortunes d’Angleterre, ils ont un poids sur l’intérêt général. Le théâtre peut s’emparer de ces débats. » Qui, des tréteaux ou des lingots, l’emportera ? Dans le vieux patois normand encore parlé à Sercq, la falaise se dit... la banque.