Au Venezuela, le quotidien « El Nacional » disparaît des kiosques
Au Venezuela, le quotidien « El Nacional » disparaît des kiosques
Par Marie Delcas (Bogota, correspondante)
Le dernier bastion de la presse écrite d’opposition, victime de la crise du papier et des pressions politiques, continuera sa diffusion sur Internet.
Des journalistes dans la salle de rédaction du quotidien « El Nacional », le dernier jour de sa parution sur papier, vendredi 14 décembre, à Caracas. / STRINGER / REUTERS
Encore un journal qui disparaît des kiosques. Vendredi 14 décembre, le quotidien vénézuélien El Nacional a publié sa dernière édition sur papier. Il continuera d’exister sur Internet. Plus encore que le harcèlement politique, la crise du papier et l’hyperinflation ont finalement eu raison du journal, dernier bastion de la presse écrite d’opposition contre le gouvernement socialiste de Nicolas Maduro. « “El Nacional”, guerrier, continuera de se battre », a titré en « une » de son dernier numéro le journal qui, cette année, avait fêté ses 75 ans.
« La disparition du quotidien ne peut que faire plaisir à Nicolas Maduro et à toute sa clique civile et militaire qui entendent jouir du pouvoir sans rendre de compte à personne », lit-on dans l’éditorial. Des dizaines de personnalités ont exprimé leur solidarité à l’équipe d’El Nacional. « Nicolas, on se retrouve sur la Toile », écrit en exergue le quotidien qui entend dynamiser son site Internet.
« Partout dans le monde, la presse écrite est menacée, contrainte de se réinventer à l’heure d’Internet, admet Carlos Correa, directeur de l’organisation de défense de la liberté de presse Espacio Publico. Mais Au Venezuela, les pressions politiques et la crise économique ont rendu la situation intenable. La presse écrite agonise. » Selon l’Institut presse et société (IPYS), El Nacional est le vingt-cinquième média écrit qui disparaît cette année, le soixante-sixième depuis 2013.
Fermeture de médias en cascade depuis début 2017
A cette date, la distribution de papier journal au Venezuela est passée sous le contrôle du Complexe Editorial Alfredo Maneiro (CAEM), qui dépend du ministère de la communication et qui exerce un monopole de fait sur les importations et la vente du précieux matériau. Les phénoménales hausses de salaires décrétées par le gouvernement pour faire face à l’hyperinflation ont aussi mis en difficultés les médias. Depuis début 2017, cinquante-deux stations de radio et huit chaînes de télévision, dont CNN en espagnol, ont cessé d’émettre.
El Nacional avait soutenu la première candidature d’Hugo Chavez (1999-2013), il y a exactement vingt ans. Mais les relations entre chef de l’Etat et les grands médias privés ont rapidement tourné vinaigre. Bien avant l’arrivée de Nicolas Maduro au pouvoir, Miguel Henrique Otero, le directeur du journal, qui vit en Espagne depuis plusieurs années pour échapper à la justice de son pays, dénonçait la « dictature » au Venezuela.
Les autorités vénézuéliennes ne se sont pas prononcées sur la disparition d’El Nacional, depuis longtemps considéré comme un ennemi du peuple. L’actuel président de l’Assemblée constituante, Diosdado Cabello, l’avait froidement rebaptisé « El Nazional ». Caracas accuse régulièrement la presse nationale de « conspirer » en vue d’un coup d’Etat et la presse internationale de faire le jeu de Washington. M. Otero se veut optimiste : « Ils disparaîtront avant nous. Sur ces rotatives-là nous titrerons alors “Le Venezuela retrouve la démocratie” », a-t-il déclaré dans une brève vidéo publiée sur les réseaux sociaux.
Le « recours à Twitter et Whatsapp pour s’informer »
En 2015, M. Cabello, qui était alors vice-président du Parti socialiste unifié (PSUV), a attaqué en diffamation El Nacional pour avoir repris un reportage publié dans la presse espagnole évoquant ses liens supposés avec le trafic de drogue. Le 5 juin, un tribunal de première instance de Caracas condamnait le quotidien à payer une grosse amende.
« L’accès à l’information est de plus en plus difficile au Venezuela, résume Carlos Correa. Les sites Internet sont souvent bloqués. Les gens ont de plus en plus recours à Twitter et Whatsapp pour s’informer. » Sur le réseau Twitter, le journaliste d’opposition Nelson Bocaranda compte ainsi trois millions d’abonnés. Whatsapp est devenue la première source d’information des Vénézuéliens.
« Ces réseaux sont devenus le dernier espace de liberté, explique M. Correa. Mais ils véhiculent évidemment beaucoup de fausses nouvelles. Et ils n’ont évidemment pas la même portée que les médias traditionnels. L’audience est fragmentée, le débat public aussi. » M. Maduro ne peut que s’en réjouir.
L’organisation Reporters sans frontières (RSF) demande la libération immédiate du reporter allemand Billy Six, détenu le 17 novembre au Venezuela. M. Six est accusé, devant un tribunal militaire, de rébellion et d’espionnage au motif qu’il aurait violé une zone de sécurité. Il risque vingt-huit ans de prison. Le journaliste serait entré au Venezuela par voie terrestre, de Colombie. Seule sa famille a pu lui parler depuis sa détention. « Le traitement que subit Billy Six est indigne et scandaleux », signale RSF, en précisant que les autorités vénézuéliennes n’ont pas présenté de preuves pour étayer leurs accusations. Les services consulaires allemands gardent le silence.
Sur le Classement mondial de la liberté de presse élaboré par RSF, le Venezuela occupe le 143e rang sur 180.