Le Guatemala menace d’expulser les fonctionnaires d’une commission anticorruption de l’ONU
Le Guatemala menace d’expulser les fonctionnaires d’une commission anticorruption de l’ONU
Par Angeline Montoya
La Commission internationale contre l’impunité au Guatemala enquête sur des irrégularités dans le financement de la campagne électorale du président Jimmy Morales en 2015.
« Ivan Velasquez dehors ! » Un manifestant réclame le départ du chef de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala, le 31 août 2018, devant le siège de l’organisation de l’ONU. / Moises Castillo / AP
Le président guatémaltèque, l’ancien comique de télévision Jimmy Morales, a fait un pas de plus dans le conflit qui l’oppose à un organisme des Nations unies de lutte contre la corruption. Le gouvernement a annoncé, mardi 18 décembre, avoir retiré l’immunité des onze fonctionnaires de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (Cicig), qui enquête sur le chef de l’Etat pour des irrégularités dans sa campagne électorale de 2015, leur donnant soixante-douze heures pour quitter le pays. Faute de quoi ils pourront être expulsés.
Le chef de la Cicig, le magistrat colombien Ivan Velasquez, a estimé que la décision du gouvernement, qu’il qualifie d’« arbitraire », « viole la Constitution du pays et représente une atteinte à l’Etat de droit ». « Les immunités [des fonctionnaires] sont issues de la convention de création de la commission, pas d’un processus d’accréditation ou de visa de courtoisie, a précisé la Cicig dans un communiqué. Seul le commissaire [Velasquez] peut retirer l’immunité prévue pour les fonctionnaires internationaux. »
« En plus de nous faire à nouveau honte face au reste du monde, cette nouvelle absurdité du ministère des affaires étrangères ne fait que confirmer l’intention obsessionnelle du pouvoir exécutif de freiner et – ce qui est encore plus préoccupant – de faire reculer la lutte contre la corruption et l’impunité », a tweeté le défenseur des droits, Jordan Rodas Andrade.
« Menace de paix »
Le chef de l’Etat estime que la commission, avec qui il entretenait pourtant de bons rapports à son arrivée au pouvoir en 2016, est une « menace à la paix ». Les hostilités ont commencé en mai 2017, lorsque la Cicig s’en est prise à un frère et à un fils du chef de l’Etat pour des malversations remontant à 2013. Lorsque sa propre campagne électorale a été soupçonnée de financements illicites, en août 2017, et que la Cicig a demandé la levée de son immunité présidentielle, M. Morales a déclaré Ivan Velasquez persona non grata, l’accusant d’avoir outrepassé ses fonctions, une décision immédiatement invalidée par la Cour constitutionnelle.
Un an plus tard, le président est allé plus loin encore : lors d’une cérémonie en août, entouré de militaires, il a annoncé qu’il ne demanderait pas à l’ONU le renouvellement du mandat de la Commission au-delà de septembre 2019. Le 4 septembre, il a interdit le retour de M. Velasquez dans le pays, profitant d’une tournée que le commissaire faisait aux Etats-Unis. Depuis lors, celui-ci n’a pas pu retourner au Guatemala.
Fléau de la corruption
Le 20 septembre, des milliers de Guatémaltèques, très attachés à la Cicig, l’institution la plus appréciée du pays avec 70 % d’opinions favorables (contre moins de 20 % pour Jimmy Morales) sont sortis dans la rue pour exiger la démission du président.
L’organisme a été créé sous l’égide des Nations unies en 2007 pour suppléer la justice guatémaltèque défaillante face au fléau de la corruption, dans un Etat infiltré par le crime organisé après des décennies de guerre civile et de dictature (1960-1996). Après la mise au jour de très nombreuses affaires, la Cicig a pris de l’importance en 2015, lorsqu’une enquête conjointe avec la procureure générale du Guatemala, Thelma Aldana, a révélé une fraude douanière qui a conduit à la démission du président de l’époque, Otto Perez (2012-2015).
Ironie de l’histoire, Jimmy Morales s’était précisément présenté comme un rempart contre la corruption pour se faire élire à la tête du pays quelques mois plus tard.