Pour « garantir une justice moderne et efficiente », il faut « des moyens à la hauteur » des missions ; à commencer par plus de procureurs. Dans un rapport révélé jeudi 20 décembre par l’Agence France-Presse (AFP), l’inspection générale de la justice (IGJ) préconise d’augmenter « significativement » le nombre de magistrats du parquet, en « sous-effectif chronique ».

L’institution, qui contrôle les services liés à la justice, estime « impérative et urgente la mise en place d’un ambitieux plan de rattrapage des moyens en effectifs de magistrats ». Les procureurs interrogés par l’inspection estiment leurs besoins réels à « 175 magistrats » supplémentaires, précise le rapport remis lundi à la ministre de la justice, Nicole Belloubet.

Justice déshéritée

« Il n’est plus possible de considérer comme normal que la justice judiciaire soit à ce point déshéritée », écrivent les auteurs de ce rapport. « L’attractivité » des magistrats du parquet est « contrariée », soulignent-ils, tout en constatant une « hémorragie » du parquet vers le siège. Selon l’examen de suivi de trois promotions de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), 38 % ont quitté le parquet après cinq ans de fonction, et 55 % après dix ans.

En cause : des effectifs insuffisants, des temps de travail dont la durée explose, la multiplication des missions dévolues au parquet en raison d’une inflation des lois, obligeant les magistrats à gérer surtout l’urgence.

L’IGJ fixe comme priorité le comblement de la vacance « structurelle » de postes. Le taux de postes non pourvus au ministère public s’établissait il y a trois mois à 3,84 %, en nette résorption en un an (7,31 % en septembre 2017). Il est actuellement de 2,97 %, indique la chancellerie, et l’arrivée en juridiction en septembre prochain de 352 auditeurs de justice sortis de l’ENM permettra de « couvrir » les parquets en sous-effectif.

L’inspection met en garde sur « l’adéquation des ressources aux besoins », notamment dans de plus petites juridictions sous-dotées, et demande que « l’effort de rattrapage » soit également consenti pour les greffiers, les secrétaires, les juristes assistants et les chefs de cabinet.

Garantir l’indépendance du parquet

« Ce rapport précis, motivé, documenté et sans concession montre que la crise d’identité du ministère public est profonde et que nous n’exagérions pas », a déclaré à l’AFP Eric Mathais, président de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR), saluant la « décision courageuse » de Mme Belloubet d’avoir saisi l’IGJ.

Dans son « Livre noir » publié à l’été 2017, la CNPR dressait le panorama d’une justice « en voie de clochardisation » et réclamait la réforme statutaire tant attendue pour garantir l’indépendance du parquet.

Au-delà d’une réforme du statut − prévue dans la révision de la Constitution de nouveau reportée à l’aune du mouvement des « gilets jaunes » − qui fait « l’unanimité », l’inspection suggère une vaste réflexion sur « l’exercice du lien hiérarchique », autre facteur de désaffection des magistrats du parquet.

Les principaux syndicats de magistrats ont salué un rapport « conforme » à leurs revendications et « pragmatique » ; ils demandent désormais que les 28 recommandations de l’IGJ soient concrétisées par la garde des sceaux.

Le porte-parole de la chancellerie, Youssef Badr, a fait savoir à l’AFP qu’un comité de suivi serait mis en place « dès janvier » à la demande de la ministre.