Manifestation des « gilets jaunes », à Paris, samedi 22 décembre. / SAMEER AL-DOUMY / AFP

Editorial du « Monde ». Quand une révolte citoyenne, d’abord motivée par le ras-le-bol fiscal et soutenue par une large majorité de l’opinion, est débordée par une minorité d’irréductibles, auteurs d’actes violents, la crise change de nature. A trois jours de Noël, la mobilisation des « gilets jaunes », lors de l’« acte VI », samedi 22 décembre, a enregistré une forte chute. Depuis le pic du 17 novembre, avec 282 000 manifestants recensés à travers la France, la baisse a été continue : 166 000 le 24 novembre, 136 000 les 1er et 8 décembre, 66 000 le 15 décembre et seulement 38 600 le 22 décembre, selon les chiffres du ministère de l’intérieur.

S’il n’a pas renoué avec l’ampleur des violences qu’a connues Paris au début du mois, cet « acte VI » a donné lieu à une série de dérapages totalement inadmissibles. Sur les Champs-Elysées, samedi soir, quatre policiers à moto ont été agressés, les syndicats évoquant une « tentative de lynchage ». Sur le parvis du Sacré-Cœur, à Montmartre, des « gilets jaunes » ont été filmés en train de chanter, gestes à l’appui, La Quenelle, le chant antisémite de Dieudonné.

Le 22 décembre, vers 23 heures, dans le métro parisien, trois hommes, visiblement éméchés, revenant de la manifestation ont fait des « quenelles », selon le récit d’un journaliste témoin de la scène. Une dame de 74 ans leur a demandé d’arrêter : « C’est un geste antisémite, je suis juive, mon père a été déporté à Auschwitz où il est mort. » Pour toute réponse, l’un des individus a hurlé « Dégage, la vieille », un autre a fait référence à la « révolution nationale » du régime de Vichy.

Essoufflement et radicalisation

Pendant le week-end, plusieurs actes de vandalisme ont été commis dans le Sud sur des péages d’autoroute. Vendredi soir, lors d’une manifestation de « gilets jaunes » à Angoulême (Charente), un pantin à l’effigie du président de la République a été décapité. A ces diverses voies de fait passibles de poursuites pénales s’ajoutent des menaces contre des députés, issus principalement de La République en marche, des insultes et des agressions contre des journalistes. Au péage du Boulou, à la frontière franco-espagnole, près de Perpignan, des journalistes de France 2 ont été frappées par des manifestants. A Saint-Chamond (Loire), une équipe de BFM-TV et une journaliste du Progrès ont été violemment prises à partie.

Sur son compte Twitter, Edouard Philippe a dénoncé « un simulacre de décapitation du chef de l’Etat (…), des agressions d’une violence inouïe contre des policiers (…), des gestes antisémites en plein Paris ». « Il est hors de question, a ajouté le premier ministre, à juste titre, de banaliser de tels gestes, qui doivent faire l’objet d’une condamnation unanime et de sanctions pénales. » Depuis le Tchad, où il se trouvait dimanche, Emmanuel Macron a affirmé que « les réponses judiciaires les plus sévères seront apportées. C’est maintenant l’ordre qui doit régner, le calme et la concorde ».

Au bout de cinq semaines, plus la mobilisation des « gilets jaunes » s’essouffle, plus elle se radicalise. Des irréductibles – livrés à eux-mêmes puisque le mouvement ne dispose d’aucune structure – cherchent la confrontation violente. Ils dénaturent ainsi le sens de la colère originelle. Dans ce contexte dangereux, une partie de la réponse viendra des corps intermédiaires – syndicats, partis politiques, associations, élus locaux – que le gouvernement comme les « gilets jaunes » n’ont cessé d’affaiblir ces derniers mois ou ces dernières semaines. Face aux risques de la violence, il y a, au contraire, urgence à leur redonner enfin toute leur place.