Liv Sansoz, reine des « 4 000 »
Liv Sansoz, reine des « 4 000 »
Par Patricia Jolly
En dix-huit mois, l’ancienne championne du monde d’escalade, convertie à l’alpinisme, a enchaîné l’ascension des 82 plus hauts sommets des Alpes.
Les sommets du Mönch et de la Jungfraü, en Suisse, le 27 mars 2017. / Ben Tibbetts
Les blasés des sports extrêmes ne manqueront sans doute pas de les trouver quelconques, mais les images capturées, le 11 septembre, par la caméra GoPro de Liv Sansoz lors de son décollage en parapente du sommet du Mont-Blanc (4 810 m) sont, pour elle, inoubliables. Cet envol depuis le « Toit de l’Europe occidentale » a marqué l’aboutissement d’un défi de dix-huit mois entamé le 2 mars 2017 : l’enchaînement des 82 sommets de plus de 4 000 m des Alpes.
L’alpiniste de 41 ans a tenu à le boucler à domicile, en ralliant, par le versant italien, ce dernier sommet qui surplombe son douillet appartement des Houches. Quarante-huit heures d’ascension en autonomie sur le très technique itinéraire de l’Intégrale de Peuterey qui s’était refusée à elle par deux fois au cours de l’été…
Par superstition, elle n’a prévenu personne de son départ avec l’alpiniste suisse Roger Schaeli, lorsqu’elle a entamé cette dernière course. « Il y avait du sable et du gravier, c’était sec et horrible, raconte-elle. Après les épisodes de canicules de l’été, le rocher bougeait de partout. Des cailloux comme des fours à micro-ondes tombaient autour de nous ».
« L’enchaînement use, altère le jugement »
L’idée de « collectionner les 4 000 » n’est pas neuve. En 1911, à l’âge de 52 ans, Karl Blodig, un ophtalmologiste et journaliste autrichien, a, le premier, gravi tous ceux alors recensés. Bien d’autres l’ont suivi, y ajoutant leur touche personnelle. En avril 2004, la quête du Français Patrick Berhault, guide et professeur à l’Ecole nationale de Ski et d’Alpinisme, a tourné court. Il a perdu la vie lors d’une chute sur l’arête suisse du Täschhorn au Dom des Mischabel (4 545 m), son 64e sommet, alors qu’il tentait d’établir un record de vitesse avec Philippe Magnien.
« Cela n’a l’air de rien car on emprunte souvent des voies normales, techniquement peu intéressantes pour les grands alpinistes, dit Liv Sansoz de cette épreuve d’endurance à cheval sur la France, l’Italie et la Suisse, mais l’enchaînement use, altère le jugement et peut conduire à l’épuisement ». C’est pourquoi l’ancienne championne du monde d’escalade sportive (1997 et 1999), originaire de Bourg-Saint-Maurice (Savoie), a privilégié le partage et s’est adonnée à l’éloge d’une certaine lenteur.
« En compétition, tu te programmes pour gagner, explique la titulaire d’un DEA en psychologie cognitive et d’un DU de coaching et performance mentale. Il n’y a que toi et la voie d’escalade que tu réussis en allant chercher au plus profond de tes ressources mentales et physiques. Pour les 4 000, j’ai voulu célébrer l’aspect humain de la montagne, un alpinisme ordinaire qui me rendait responsable de mes compagnons et de leur sécurité. Il n’y avait ni podiums ni médailles, juste des journées de 18 heures encordés ensemble. Des moments très forts… »
L’ascension du Grünhorn, en Suisse, le 28 mars 2017 / Ben Tibbetts
Victime d’une déchirure à la jambe
Amis ou connaissances, vingt-quatre alpinistes, grimpeurs, skieurs de pente raide ou parapentistes se sont laissés séduire. L’ancienne compétitrice a pimenté sa quête en exigeant que chaque sommet soit rallié à pied, depuis les vallées, sans utiliser de remontées mécaniques. Et chaque redescente effectuée à skis ou en parapente, chaque fois que les conditions le permettaient.
Sur cinq des 82 sommets, elle a dû s’y reprendre à deux fois, parce qu’un compère a perdu en route ses indispensables lunettes de soleil, qu’une autre s’est blessée ou que la météo imposait un demi-tour…
Elle avait pourtant démarré sur les chapeaux de roue par le Grand Paradis (4 061 m) en Italie, en mars 2017, gravissant 37 sommets en 50 jours. Mais, en décidant que son périple serait filmé, Liv Sansoz s’est compliqué la tâche. « Pour avoir une belle lumière, il fallait partir à 1 heure du matin, au lieu de 6 heures, et sur cinq ou six jours d’affilée, c’était éprouvant, confesse-t-elle. Dès qu’on passe plusieurs nuits en refuge, on ne se repose plus car il y a du monde, donc du bruit en permanence, et la moindre ampoule devient insupportable ».
Au 38e sommet, en Suisse, victime d’une déchirure à la jambe, elle a dû être évacuée par hélicoptère. « J’avais besoin d’une pause, reconnaît-elle. Je ne m’étais même pas aperçue que mes orteils avaient commencé à geler ».
Développement de matériel
Durant ses quelques semaines de convalescence, Liv a appris le décès de son ami Ueli Steck, 40 ans, victime d’une chute mortelle lors d’une course d’acclimatation sur le Nuptse (7 861 m), un sommet satellite de l’Everest au Népal.
Spécialiste des solos et des records de vitesse et athlète professionnel comme elle, celui qu’on surnommait « the Swiss Machine » (La machine suisse) avait réussi l’ascension des 82 sommets de 4 000 m en 62 jours, à l’été 2015. Elle rêvait de l’associer à son projet.
La météo capricieuse a ensuite continué à contrarier régulièrement les plans de Liv. Mais Salomon, l’équipementier qui a financé son épopée en mettant notamment à sa disposition un routeur météo, ne s’en plaint pas.
« A travers ce projet, explique Bruno Bertrand, directeur du marketing ski chez Salomon, Liv a exprimé sa personnalité bien trempée, son souci de la sécurité et elle nous a permis de développer du matériel qu’on aurait mis dix ans à développer avec des testeurs ordinaires ». Comme une chaussure de montagne ultralégère.
« Les expéditions au bout du monde sont trop aléatoires », conclut Liv Sansoz, adepte d’une montagne « durable » . « Pourquoi partir au bout du monde, au prix d’une empreinte carbone énorme et trimballant de gros sacs sans être certain de pouvoir grimper quand on a à la maison un terrain de jeu presque infini ? ». De son crapahut alpestre, elle pense avoir tiré l’essentiel. « J’y ai pris un énorme plaisir et je suis rentrée en vie », sourit-elle.