« Unfriended : Dark Web » : ultramodernes inquiétudes
« Unfriended : Dark Web » : ultramodernes inquiétudes
Par Jean-François Rauger
Le film de Stephen Susco est un « screen life », qui instille la peur avec un écran d’ordinateur.
Unfriended : Dark Web fait partie d’une série de films produits par le Russe Timur Bekmambetov, producteur installé à Hollywood et responsable d’une série toute particulière de films d’horreur. Ce qu’il appelle des screen lives sont des films dont l’action est uniquement restituée par ce que l’on peut voir sur un écran d’ordinateur : courriers électroniques, images transmises par Skype ou par YouTube, profils Facebook, etc. Le médium cinématographique est désormais constitué par un enchevêtrement de réseaux sociaux et de moyens de communication permis par Internet. L’écran du cinéma est devenu un gigantesque écran d’ordinateur où ce qui s’affiche doit, dans le mouvement, provoquer la discursivité d’un récit, de préférence effrayant.
On devine assez bien la spéculation ayant engendré cette manière singulière de raconter une histoire et de faire peur en même temps. Le public auquel semble s’adresser prioritairement ce cinéma d’horreur est jeune, supposé habitué à ce monde virtuel que sa fréquentation familière rendrait presque réel, donc susceptible d’être terrifiant.
Plusieurs films ont déjà été réalisés selon ce principe : Unfriended, de Levan Gabriadze (sorti en France en 2015), Searching, d’Aneesh Chaganty (sorti en septembre), et Profile, de Timur Bekmambetov en personne (encore inédit). Il y a peu de chance que ce principe du screen life représente autre chose qu’un habile gadget, et sa longévité est peu probable. Mais il y a néanmoins quelque chose de fascinant et de révolutionnaire dans les possibilités ouvertes par une technique consistant à provoquer une émotion violente sans parfois recourir à l’image mais rien qu’en déroulant un texte sous les yeux du spectateur, celui d’un e-mail menaçant par exemple.
Jeu du chat et de la souris
Unfriended : Dark Web met en scène un jeune homme découvrant les possibilités d’un ordinateur portable qu’il a dérobé. Tout en communiquant par Skype avec sa fiancée sourde-muette mais aussi avec quelques amis dans la perspective d’un jeu collectif à distance, il s’aperçoit que son ordinateur possède des dossiers cachés, tout d’abord des images de vidéosurveillance et de caméras domestiques habilement piratées. Une recherche plus approfondie met enfin au jour des films représentant divers meurtres et tortures bien réels. Le propriétaire de l’ordinateur le contacte, menace de tuer sa petite amie s’il ne récupère pas son bien. On comprend qu’il fait partie d’un réseau d’assassins capturant et tuant des jeunes femmes pour ensuite vendre les images de meurtres à de riches clients. S’ensuit une sorte de jeu du chat et de la souris, par écrans interposés, au cours duquel surviendront divers retournements de situation.
Si l’on accepte, avec une crédulité consciente d’elle-même, le déroulement d’événements parfois improbables, éprouvé selon le système narratif adopté, on peut légitimement s’accrocher à son fauteuil. Car ce qui est remarquable dans Unfriended : Dark Web n’est pas seulement l’astuce filmique employée mais l’incroyable sadisme qui se donne libre cours au fur et à mesure de l’évolution des situations. Les techniques modernes de communication numériques se révèlent un parfait dispositif pour décrire une sorte de descente aux enfers, celle permise par une transparence devenue absolue et totale. Comme si la paranoïa induisait une nouvelle et contemporaine forme de nihilisme.
UNFRIENDED DARK WEB - Bande-annonce officielle
Durée : 01:01
Film américain de Stephen Susco. Avec Colin Woodell, Stephanie Nogueras, Betty Gabriel (1 h 28). Sur le Web : www.unfriended-darkweb.com/home et www.facebook.com/Unfriended2Movie