Ils comptent parmi les merveilles du Système solaire. Avec leurs surfaces brillantes et lisses, leurs variétés de couleurs et leurs multiples régions ou « divisions », les anneaux de Saturne suscitent l’enchantement et incitent à la rêverie. Ces structures féeriques, qui, associées entre elles forment un disque d’apparence faussement monolithique, ne correspondent pas à un objet solide. Mais à des régions de l’espace occupées par des myriades de débris de toute taille. Du fragment de quelques centimètres jusqu’à la petite lune.

Elles ne sont pas non plus uniques en leur genre. Des couronnes, moins denses, moins larges ou faites d’une matière plus sombre, entourent aussi, complètement ou partiellement, les autres planètes géantes, Jupiter, Uranus et Neptune. Et il en serait de même, a-t-on appris voilà seulement cinq ans, de certains astéroïdes et planétoïdes.

Comprendre les propriétés des anneaux associés aux petits corps du Système solaire était l’objet de récents travaux d’une équipe de l’Observatoire de Paris. Bruno Sicardy, professeur au laboratoire Lesia, et ses collègues ont étudié les ceintures de débris encerclant deux objets lointains aux formes et aux topographies particulièrement biscornues. Ils affirment dans la revue Nature astrophysics que les imperfections de ces astres ont joué un rôle majeur dans la mise en place de ces structures.

Le groupe de Bruno Sicardy n’en est pas à son coup d’essai. C’est lui qui, en 2013, a le premier découvert, en recourant à une technique dite d’« occultation stellaire », des anneaux d’astéroïde. En l’occurrence, ceux de Chariklo, un objet de 250 kilomètres de diamètre du groupe des Centaures voyageant quelque part entre Saturne et Uranus. La même équipe fut aussi en 2017 à l’origine de la découverte des anneaux d’Hauméa. Cette planète naine, située au-delà de l’orbite de Neptune et tournant sur elle-même en quatre heures à la manière d’un agitateur dans un bécher, à la forme étrange d’un cigare de… 2 300 kilomètres de longueur.

D’où proviennent ces structures circulaires ? Dans ces régions éloignées et glacées du Système solaire, la meilleure explication possible est qu’elles résultent d’une collision survenue entre les astres qu’elles entourent et d’autres corps. Sous le choc, des débris furent probablement rejetés dans l’espace, formant en peu de temps des disques de matière. Mais qu’est-il arrivé par la suite ? C’est ce qu’ont voulu déterminer Bruno Sicardy et ses confrères. Ces astronomes ont simulé l’effet qu’auraient pu avoir les champs de gravité irréguliers de Chariklo et d’Hauméa sur de pareils disques.

Résultat d’une intégration numérique montrant l’évolution d’environ 700 particules orbitant autour d’un corps allongé de taille et forme similaires à Chariklo (un ellipsoïde d’axes principaux 314 x 278 x 172 km). Après 3 mois (image du haut) la plupart des particules à l’intérieur de l’orbite synchrone (à 190 km du centre de Chariklo) sont tombées sur le corps. Après une année (image du milieu), toute la zone interne a été vidée. Après douze ans (image du bas), les particules continuent leur migration vers les zones externes. / Crédit : Rodrigo Leiva, Dpt of Space Sudies, Southwest Research Institute, Boulder

Ils ont ainsi découvert que, dans ce genre de système mettant en jeu des objets de petite masse en rotation rapide sur eux-mêmes, les variations de relief et de forme des astres – comme la simple présence d’une montagne de quelques kilomètres de haut – ont une grande importance. Elles créeraient des phénomènes de « résonances », hautement perturbateurs pour les particules de matière circulant dans l’environnement immédiat de ces objets. Selon eux, ces dernières seraient, en fonction de leur orbite, tantôt attirées en direction de la surface, tantôt rejetées plus loin vers l’espace.

Résultat : quelques années suffiraient pour débarrasser la région interne d’un disque de ses débris, créer des anneaux et repousser ces derniers vers les zones périphériques où on les retrouve aujourd’hui.

Les anneaux de Saturne comme vous ne les avez jamais vus
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Pareille découverte ne serait pas sans implication. « En effet, indique Bruno Sicardy, transposée à d’autres situations, elle pourrait aider à comprendre comment se forment les satellites autour des petits corps du Système solaire. Voire contribuer à expliquer certains éléments du relief de ces objets. » Comme par exemple, l’existence sur Japet, une des lunes de Saturne, d’une chaîne de montagnes occupant l’équateur sur toute sa longueur. Cette dernière pourrait avoir été créée par la chute d’un ancien anneau.