Officier de marine marchande, « l’antidote à une vie de routine »
Officier de marine marchande, « l’antidote à une vie de routine »
Par Eric Nunès
Des bords de la Baltique, de la Méditerranée ou de l’Atlantique à l’Ecole nationale supérieure maritime, de jeunes officiers racontent leur choix de carrière.
Ecole nationale supérieure maritime / Guillaume GUERIN
Quand on naît malouin, on grandit face à l’océan. Sur les remparts de la cité corsaire, la statue de bronze de Robert Surcouf, dos au continent, pointe, depuis plus d’un siècle, la direction à prendre pour les nouvelles générations : le large. Les siècles passent et certaines traditions restent. « Moi aussi, je veux voir du pays », déclare Jacques Chevalier, 25 ans, originaire de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), fraîchement diplômé de l’Ecole nationale supérieure maritime (ENSM) et, donc, jeune officier de la marine marchande.
Comment changer d’horizon à chaque lever de soleil et être bien payé pour parcourir le monde : voilà ce qui a motivé plusieurs jeunes officiers rencontrés dans la grande école de la marine marchande, dont le bâtiment à la fine étrave est planté entre terre et mer sur le port du Havre (Seine-Maritime).
Bac scientifique en poche, Carl Larsson, 24 ans, né à Upsalla en Suède, ville universitaire posée à quelques encablures du port de Kapellskär, sur la mer Baltique, a intégré l’école havraise avec les objectifs partagés par tous les marins : « Partir, naviguer, changer. » Sus à la routine.
Ce désir de renouvellement, d’aventures, Basile Buisson, Marseillais de 29 ans, l’a ressenti fort. Diplômé en informatique, le jeune homme entame sa vie professionnelle sur les rails de sa spécialité : derrière un ordinateur. Il exécute ses tâches, conduit un projet, puis un autre, clone du précédent. « On recommence, on répète », se souvient-il. A 24 ans, l’ENSM lui apparaît comme « l’antidote à une vie incolore » et il réembarque pour cinq nouvelles années d’études. Officiellement diplômé jeudi 20 décembre, il prendra la mer pour une seconde carrière dès les premières semaines de 2019.
« Des Seychelles à l’Antarctique »
Le tour du monde, les jeunes marins l’ont déjà exécuté lors de leurs phases de formation en entreprise, auprès des armateurs, à bord de paquebots, porte-conteneurs, pétroliers, méthaniers, navires océanographiques… « Je reviens de République dominicaine et j’embarque pour Panama », raconte, placide et visiblement heureux, Léo Bargain, 24 ans, malouin, nouvellement diplômé de l’ENSM.
Avant même sa remise de diplôme, Carl Larsson, lui, est engagé par le croisiériste Ponant. Son année 2019 commencera par la réception et le contrôle d’un tout nouveau bateau, le dernier palace flottant de la compagnie. Il partira comme officier mécanicien sur toutes les mers du globe, « des Seychelles à l’Antarctique ».
Un marin aime partir, mais aussi revenir. En France, chaque jour travaillé donne droit à un jour de congé. « Le rythme me plaît, s’amuse Léo Bargain. Deux mois en mer, puis deux mois de vacances payé à ne rien faire… » Un système « plein d’avantages », souligne également Basile Buisson. En mer, l’équipage travaille sept jours sur sept et dix heures par jour. Peu de répit donc, mais une fois le navire conduit à quai, une autre vie de totale liberté est offerte. Avec suffisamment de revenus pour en jouir : les officiers débutants sont payés environ 3 000 euros par mois, sur treize mois. « Cela nous donne les moyens d’en profiter », s’accordent les jeunes marins.
Reste que le cadre des seuls océans, la promiscuité d’un équipage et la distance mise avec les proches demandent une adaptation. « Il faut être égoïste, savoir gérer l’éloignement de la famille et laisser vos proches gérer le quotidien », analyse Fabienne Perrot, qui, après onze années à parcourir mers et océans aux commandes de cargos, est devenue professeure de génie mécanique au sein de l’établissement. Il faut donc savoir tourner le dos au continent et ses soucis pour se concentrer sur l’océan et la coque d’acier que l’on manœuvre.
« L’humilité face à l’élément est indispensable, pas de fanfaron dans le rapport à la mer », dit l’enseignante. Vivre des semaines, voire des mois, avec un équipage dans un environnement restreint demande une force de caractère. « Les anxieux, les nerveux… n’ont pas leur place à bord. » Les autres, tels des aventuriers modernes, sont parés à embarquer, au long cours.