Polémique sur l’indemnisation partielle d’une femme défenestrée par son compagnon
Polémique sur l’indemnisation partielle d’une femme défenestrée par son compagnon
Le Monde.fr avec AFP
Paraplégique après avoir été défenestrée par son compagnon en 2013, une femme n’a pas eu droit à une indemnisation totale, au motif qu’elle est jugée en partie responsable de ce qui lui était arrivé.
Le tribunal de grande instance d’Angers en 2016. / JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
Défenestrée par son compagnon en 2013, devenue paraplégique, une femme originaire du Mans a été considérée par le fonds d’indemnisation des victimes comme en partie responsable de ce qui lui était arrivé : son cas a suscité des réactions jusqu’au sein du gouvernement. Voici le point sur cette affaire qualifiée de « profondément choquante » par la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa.
Que s’est-il passé ?
L’affaire, révélée le 2 janvier par Le Maine libre, remonte au 24 août 2013. Ce soir-là, des policiers interviennent dans l’appartement où vivent Aïda* et son compagnon, après que ce dernier a agressé un ami commun. Les policiers conseillent à la jeune femme, âgée alors de 25 ans, de ne pas dormir chez elle.
Selon ses avocats, Aïda envisage alors de se rendre dans sa famille à Alençon. « La police la dépose à la gare, mais il n’y a plus de train. Il n’y a pas de car non plus et le taxi est trop cher. Elle appelle le 115, mais le seul hébergement disponible est à trente minutes à pied, et aucun des amis qu’elle sollicite ne lui répond », détaille à L’Express son avocat, Me Mathias Jarry.
Toujours selon son conseiller, la jeune femme n’a d’autre choix que de retourner dans l’appartement où elle vit avec son compagnon. « Aïda subissait des violences habituelles, qui n’avaient pas donné lieu à hospitalisation, mais ce soir-là, il ne l’avait pas violentée », explique Me Jarry auprès de l’Agence France-Presse (AFP).
A son retour, le compagnon d’Aïda s’attaque à elle. Alertée dans la nuit par des voisins, la police la découvre gisant au pied de l’immeuble. L’homme a jeté sa compagne du deuxième étage.
Aïda est depuis paraplégique et son agresseur a été condamné en 2016 à quinze ans de prison. Dans son arrêt civil de juin 2016, la cour d’assises fixe la provision pour l’indemnisation de la victime – c’est-à-dire une avance sur l’indemnité réclamée – à 90 000 euros.
Pourquoi n’a-t-elle pas été pleinement indemnisée ?
Après le procès aux assises, les avocats d’Aïda, Me Mathias Jarry et Me Julie Dodin, ont demandé à l’Etat, via le Fonds de garantie des victimes (FGTI), de verser cette provision pour financer les conséquences du handicap de leur cliente.
Mais le Fonds propose une indemnisation partielle, estimant « qu’il y a partage de responsabilités et que notre cliente a commis une faute civile en retournant à son domicile », commente Me Jarry. « C’est nier la réalité des dossiers de violences conjugales et du mécanisme d’emprise qu’exercent les conjoints violents sur les victimes ! », ajoute-t-il.
Jugeant cette position « aberrante », les avocats saisissent la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), une juridiction qui siège auprès de chaque tribunal. Mais le 13 février 2018, cette commission retient également le partage de responsabilités et propose de verser 67 500 euros à la victime.
« La position du Fonds de garantie est très choquante », réagit Me Dodin. « Il n’y a pas de jurisprudence sur la question et aucune CIVI n’a encore jamais eu l’audace de retenir la faute d’une victime de violences conjugales. »
Les avocats ont, depuis, contesté la décision de la CIVI auprès de la cour d’appel d’Angers. Une audience est prévue pour trancher le litige le 27 mai 2019. Dans ses conclusions rendues fin novembre, l’avocat général de la cour d’appel d’Angers confirme la faute partagée de la victime et demande une provision encore réduite. « Ce qui nous a choqués, c’est qu’il a écrit le mot victime entre guillemets, comme si notre cliente n’était pas une vraie victime », s’indigne Me Jarry.
Comment le Fonds d’indemnisation justifie sa décision ?
Sur Twitter, le Fonds de garantie a expliqué agir « au nom de la solidarité nationale et sous le contrôle du juge [de la CIVI] qui a estimé, sur la base des faits, que, conformément à la loi, l’indemnisation devait être limitée, en raison d’une faute de la victime ». Contacté par l’AFP, le FGTI a également rappelé des faits évoqués en audience, dont le retour de la victime à l’appartement où vivait le couple et sa consommation de stupéfiants. « La loi prévoit en effet que la victime qui contribue, par sa faute, à son dommage peut voir son droit à l’indemnisation réduit et même parfois supprimé », poursuit-il.
Toujours selon le Fonds, la provision d’indemnisation de 67 500 euros a été intégralement réglée bien que la victime ait fait appel.
Quelle est la réaction du gouvernement ?
Face au tollé provoqué par cette affaire, Marlène Schiappa s’est dite « prête à intervenir dans cette affaire ». Pour la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les hommes et les femmes, la décision de la CIVI « va à l’encontre du travail de conviction », mené par le gouvernement, alors qu’en France une femme meurt tous les trois jours de faits de violence de son conjoint ou ex-conjoint :
Cette décision va à l’encontre du travail de conviction que nous menons.Non, une femme n’est jamais responsable de… https://t.co/BsIybi65Bv
— MarleneSchiappa (@🇫🇷 MarleneSchiappa)
Par ailleurs j’adresse en prévention ce jour un courrier officiel à toutes les compagnies d’assurances et instituti… https://t.co/ybMqpB3VLp
— MarleneSchiappa (@🇫🇷 MarleneSchiappa)
* Le prénom a été changé.