« A défaut de s’en débarrasser par un putsch, les Africains “tuent” leurs dirigeants sur Internet »
« A défaut de s’en débarrasser par un putsch, les Africains “tuent” leurs dirigeants sur Internet »
Par Francis Kpatindé (chroniqueur Le Monde Afrique)
Les coups d’Etat se raréfient en Afrique, observe notre chroniqueur, tandis que les « fake news » annonçant la mort des « dinosaures », elles, se multiplient.
Le président gabonais, Ali Bongo Ondimba, à Londres, le 11 octobre 2018. / CHRIS JACKSON / AFP
Chronique. Le putsch manqué du lundi 7 janvier au Gabon ne doit pas induire en erreur. Le nombre de coups d’Etat, avortés ou réussis, est en nette régression en Afrique depuis près de trois décennies. Les pronunciamientos étaient foison jusqu’au début des années 1990. Ils sont désormais rares, pour ne pas dire exceptionnels.
Un grand pays comme le Nigeria, naguère considéré comme un « éléphant aux pieds d’argile » à cause de son instabilité institutionnelle chronique, n’a pas connu la moindre révolution de palais depuis la disparition subite de son dernier dictateur, le général Sani Abacha, le 8 juin 1998. Idem au Ghana, au Bénin et dans quelques autres pays autrefois en proie à des « golpes » à répétition.
Dans le même ordre d’idées, le dernier putsch réussi ayant entraîné l’assassinat d’un dirigeant sur le continent remonte à la fin des années 1990 : le président du Niger, le général Ibrahim Maïnassara Baré, avait été abattu dans le dos sur le tarmac de l’aéroport militaire de Niamey par l’homme chargé de sa sécurité, le commandant Daouda Malam Wanké. C’était le 9 avril 1999. Vingt ans déjà !
Les « doyens » d’Afrique centrale
Cette pause notable dans les coups d’Etat tient à une série de mutations institutionnelles, à une amélioration générale du débat politique, à l’émergence d’une société civile plus tonique, à des élections plus ouvertes partout sauf en Afrique centrale, qui fait figure de bastion inexpugnable du statu quo et de l’autoritarisme. On trouve dans la région, aujourd’hui encore, une forte concentration de « dinosaures » et autres « doyens » ayant en commun un âge où il n’est pas interdit de faire valoir ses droits à la retraite, ainsi que plusieurs décennies passées à la tête de l’Etat.
L’Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, 76 ans, a déjà passé près de quarante ans à la tête de l’Etat pétrolier d’Afrique centrale. Pour ce qui le concerne, le Congolais Denis Sassou-Nguesso, 75 ans, affiche au compteur un solde cumulé de trente-cinq années au pouvoir. Et l’insubmersible Paul Biya fêtera ses 86 ans en février, dont trente-sept comme président du Cameroun, après en avoir été le premier ministre durant les sept années qui ont précédé son accession à la magistrature suprême par cooptation, en 1982.
La raréfaction des putschs tient également au fait que le coup d’Etat, même ardemment souhaité par des populations en désarroi, est désormais banni, notamment par l’Union africaine et ce qu’il est convenu d’appeler la « communauté internationale ». Il est de nos jours interdit de renverser un régime, même au nom de la liberté confisquée, au risque d’être placé sous embargo, privé de voyages à l’étranger, et de voir les comptes bancaires des prétoriens, de leurs affidés et de leurs proches gelés.
Pour salutaires qu’elles soient, ces mesures coercitives peuvent, dans certains cas, voir leur pertinence remise en cause par les populations, surtout lorsque ces dernières ne décèlent aucun espoir d’alternance du côté des urnes, les dés étant bien souvent pipés, ou lorsque les chancelleries étrangères, les institutions internationales ou la Grande Muette, désormais priée de ne sortir de ses pénates que pour des missions onusiennes de maintien de la paix, restent sourdes à leurs SOS.
Un clone de Muhammadu Buhari ?
Résultat : avec l’avènement de l’Internet mobile bon marché et des réseaux sociaux, les populations semblent avoir trouvé une arme redoutable contre les « dinosaures ». Elles s’emploient désormais à « tuer » sur la Toile ces derniers représentants d’une période évanescente, à défaut de pouvoir s’en débarrasser par le suffrage universel, par des voies de droit comme l’impeachment ou, à l’occasion, par un « putsch salvateur ».
Suggestions de Google pour la recherche « Ali Bongo », le 9 janvier 2018.
Une mort symbolique comme catharsis et mode de dévolution du pouvoir, il fallait y penser ! C’est pourtant ainsi qu’il faut comprendre la recrudescence des officines de fabrication de rumeurs et la frénésie des populations pour les fake news, dernière passion africaine. A ce jeu macabre, le président gabonais, Ali Bongo Ondimba, n’est plus de ce monde, tout comme Paul Biya, donné pour mort à plusieurs reprises ces quinze dernières années, le Togolais Faure Gnassingbé et le Nigérian Muhammadu Buhari, dont ne subsisterait plus qu’un avatar sous forme de clone errant.
Cet exorcisme collectif n’épargne étonnamment pas les anciens dirigeants, pour certains retirés des affaires de longue date. C’est en effet par voie de communiqué de presse que Jerry Rawlings, ancien président du Ghana, a tenu à préciser, le 15 mai 2017, qu’il était bien vivant et sur pied. Nous étions nombreux, il est vrai, à avoir cru à la véracité des « faits » rapportés dans un « article » en ligne plutôt bien écrit et égrenant moult détails sur le prétendu décès de l’ancien capitaine révolutionnaire des suites d’une crise cardiaque lors d’un transfert en urgence dans un hôpital d’Accra.
Francis Kpatindé, ancien rédacteur en chef du Monde Afrique, est journaliste et enseignant à Sciences Po Paris, où il dirige un cours sur « le contrôle des élections en Afrique au sud du Sahara ».