Donald Trump pris au piège de sa propre obsession pour « le mur »
Donald Trump pris au piège de sa propre obsession pour « le mur »
En endossant la responsabilité du « shutdown », Donald Trump lie son sort à la réussite du mur à la frontière mexicaine, au moment pourtant le moins politiquement favorable pour lui.
Donald Trump, jeudi 10 janvier à la Maison Blanche. / Jacquelyn Martin / AP
Combien de temps encore les Etats-Unis vont-ils tourner au ralenti ? Depuis bientôt trois semaines, le pays est sous le coup d’un des plus longs shutdown de son histoire politique, laissant de nombreux ministères et administrations désertées par des fonctionnaires privés d’émoluments. La cause de cette paralysie ? Le mur de 3 200 kilomètres à la frontière mexicaine, que Donald Trump entend faire financer à hauteur de cinq milliards de dollars (4,4 milliards d’euros), malgré une Chambre des représentants, passée sous contrôle démocrate à la faveur des élections de mi-mandat, plus que récalcitrante.
Pour parvenir à ses fins, le président américain n’en finit plus d’éructer et d’inventer chaque jour de nouvelles menaces – y compris de recourir à l’état d’urgence pour contourner le Congrès. Un geste politique jusqu’au-boutiste, qui illustre la position difficile dans laquelle s’est placé le locataire de la Maison Blanche. Car c’est bien Donald Trump lui-même qui a fait de cette construction le symbole de son mandat présidentiel, et se retrouve aujourd’hui au pied du mur à l’heure de le concrétiser, rappelle le Washington Post.
« Moyen Mnémonique »
L’idée de barricader la frontière avec le Mexique est pourtant loin d’être une innovation du milliardaire américain. Déjà, en 1978, Jimmy Carter faisait voter l’augmentation du budget de la police des frontières pour financer des barrières de trois mètres de haut baptisées « Tortilla Curtain ». Des velléités bâtisseuses poursuivies ensuite par Ronald Reagan, George H.W Bush, ou le Démocrate Bill Clinton, qui fit ériger huit nouvelles sections en taules d’acier ondulées. Enfin, en 2006, George W. Bush passait la « Secure Fence Act », prévoyant une nouvelle barrière physique de 1 100 km, sans aucune opposition politique des démocrates. Aujourd’hui, près de 1 200 kilomètres de barrières existent déjà entre les deux pays.
Comment le mur à la frontière mexicaine est-il devenu le symbole de la présidence de Donald Trump ? Interrogé par le New York Times sur cette obsession de l’exécutif, des conseillers politiques de sa campagne ont expliqué la genèse de cette promesse de campagne :
« C’était d’abord un moyen mnémonique pour que le candidat – qui détestait lire des notes mais adorait se vanter de ses talents de constructeur – se rappelle de parler de manière dure sur l’immigration, un thème qui devait s’imposer dans sa campagne naissante. »
Le concept, pourtant perçu comme globalement inefficace pour réduire l’immigration illégale par les spécialistes, fait recette. « C’est une idée qui peut être exprimée en un seul mot, ce qui en fait quelque chose de très attirant en termes de marketing », souligne Michael D’Antonio, biographe de Donald Trump. Dans les stades et les salles municipales, les foules reprennent en chœur le slogan « Build a wall ! », symbole bétonné de l’intransigeance promise du candidat sur le front migratoire. D’autant que le milliardaire promet de le faire « payer par le Mexique », ce qui électrise son électorat.
« Aussi absurde que naïf »
Après deux ans de campagne à marteler cette promesse, Donald Trump est élu face à Hillary Clinton. Fort d’une majorité républicaine au Congrès, le nouveau locataire de la Maison Blanche se garde pourtant bien de lancer immédiatement le fameux chantier, laissant même penser un temps à un abandon du projet. Dans la rhétorique présidentielle, celui-ci passe d’ailleurs au fil des moi d’un « mur solide en béton » à un « empilement de lamelles d’acier », rappelle la chaîne américaine CNBC.
Pourquoi ? Parce que le Mexique a clairement affirmé qu’il ne paierait pas pour le mur, et qu’il semble difficile de le contraindre. Ensuite, parce qu’au sein même des Républicains, la promesse fait débat. Au printemps 2017, les parlementaires conservateurs ont d’ailleurs rejeté la demande de la Maison Blanche de débloquer un milliard de dollars pour lancer la construction. Peu sont convaincus en effet que le mur soit la meilleure solution pour réduire l’immigration, et surtout pas une priorité. « Dire simplement “construisons cette maudite barrière” et conclure que ce sera la fin des débats sur l’immigration est aussi absurde que naïf », expliquait ainsi en 2015 Mick Mulvaney, devenu depuis chef de cabinet de la Maison Blanche.
12 % de baisse
Un constat partagé d’ailleurs par les électeurs, malgré les affirmations de Donald Trump qui répète à l’envi que « les gens de notre pays veulent ce mur ». Un sondage réalisé début janvier montre ainsi que le soutien populaire à la construction d’un mur à la frontière est passé de 53 % à 41 % en quatre ans. Il reste cependant fort dans l’électorat républicain, dont 54 % pensent que Donald Trump fait la bonne chose en poussant le gouvernement au shutdown pour forcer le Congrès à lui accorder les crédits suffisants.
Une stratégie que le site d’informations the Intelligencer qualifie pourtant de « cataclysme économique », devenu « un étau dans lequel l’administration Trump s’est coincé ». En allant à l’affrontement avec le Congrès et en endossant la responsabilité du blocage – 47 % des électeurs imputent la paralysie au président, selon le site d’informations politique The Hill –, Donald Trump lie son sort à la réussite du mur, au moment pourtant le moins politiquement favorable – les démocrates ayant tout juste sorti la tête de l’eau à la faveur des élections de mi-mandat.
« Avoir un monument à son nom »
Mais force est de constater qu’après deux ans à la tête du pays, le président affiche un bilan mitigé et peu de réformes d’ampleur. « Ils ne peuvent se vanter de rien (…) donc ils retournent se battre sur des symboles idiots », note ainsi le magazine Texas Observer, qui évoque le mur comme « un piège dont Trump et les Républicains ne peuvent plus s’échapper ». Interrogé par le New York Times, le directeur du site d’informations conservateur Newsmax et proche de Donald Trump, Christopher Ruddy, reconnaît que le président « est obsédé par l’idée de réaliser ses promesses de campagne – à un degré que je pense malsain – mais c’est important pour lui et ce n’est pas une mauvaise chose. »
Une détermination qui inquiète beaucoup d’observateurs sur la durée possible du shutdown, et l’issue politique de ce bras de fer présidentiel. Donald Trump est attendu jeudi 10 janvier à McAllen, localité du Texas à la frontière mexicaine, où il entend démontrer une nouvelle fois le bien-fondé de ses demandes budgétaires. Pour le magazine The Atlantic, ces tentatives de convaincre n’expriment que la volonté du président « d’avoir un monument à son nom ». Et le mensuel de rappeler que Donald Trump devrait relire son best-seller de 1987, L’art de la négociation. Page 55, on y lit : « Moyens de pressions : ne tentez pas de négociations sans en avoir ».
Comprendre l'immigration clandestine en une carte
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