Assurance emprunteur : la résiliation n’est pas encore entrée dans les mœurs
Assurance emprunteur : la résiliation n’est pas encore entrée dans les mœurs
LE MONDE ARGENT
Un an après l’application de la possibilité annuelle de changer d’assureur pour son crédit, la pratique semble loin d’être devenue un réflexe.
Les banques refuse souvent de manière illégitime un grand nombre de demandes de délégation d’assurance. / Ingram / GraphicObsession
Changer l’assurance de son prêt : c’est possible depuis tout juste douze mois, une fois l’an, quel que soit l’âge de votre contrat. Dans une décision publiée le 12 janvier 2018, le Conseil constitutionnel a en effet validé ce droit, introduit dans une loi de 2017 par le fameux « amendement Bourquin ».
Depuis 2010, les banques avaient déjà l’interdiction d’imposer leur assurance maison lorsqu’au moment de la signature du prêt, leurs clients souhaitaient passer par un assureur externe (« en délégation »).
En 2014, les consommateurs avaient ensuite obtenu le droit de résilier cette assurance à tout moment durant l’année suivant la souscription du crédit. Puis avait été ouverte, au premier trimestre 2017, la possibilité de résiliation annuelle pour les nouveaux contrats, deux mois avant leur date anniversaire.
Le 1er janvier 2018, l’élargissement aux anciens contrats, confirmé quelques jours plus tard par les Sages, était venu parachever le processus législatif d’ouverture du marché de l’assurance emprunteur, visant à doper la concurrence et minorer les prix.
Bilan mitigé
Résultat, un an après ? Le recours à la délégation est « plus faible qu’attendu », répond Magnolia.fr, qui dresse un « bilan quelque peu mitigé » de ces douze mois d’application de la loi. Ce courtier spécialisé en assurances de prêt explique avoir enregistré environ 4 000 clients « Bourquin » sur la période. « Ce n’est pas le raz-de-marée attendu, il faudra plusieurs années pour que cela devienne un réflexe », souligne Astrid Cousin, sa porte-parole.
En cause, selon le courtier : « un manque d’information et de pédagogie ». Il estime que parmi ses clients, la moitié sont aujourd’hui des assurés de première main (ayant opté pour une assurance en délégation dès la signature du crédit), un quart profite du droit de résilier durant la première année, et un quart bénéficient de l’amendement Bourquin.
Preuve que la résiliation n’est encore entrée dans les mœurs : « Notre clientèle est très majoritairement un public averti, adepte de ce genre de démarches », explique Mme Cousin. « Plus de neuf de nos clients sur dix disent qu’ils connaissaient en effet déjà leur taux d’assurance avant d’en changer, ce qui est plutôt rare chez les emprunteurs traditionnels. »
Les banques conservent le marché
« Si les chiffres pour 2018 n’ont pas encore été communiqués, la banque conserve bien sûr une grande partie du marché, le rééquilibrage prendra plusieurs années », note Jean-Sébastien Nénon, directeur des opérations de LesFurets.com.
« On ne s’attendait pas à ce que le marché soit métamorphosé en douze mois », ajoute-t-il. « En revanche, il devrait avoir considérablement évolué dans 3 ou 4 ans. Que les assureurs en délégation représentent alors 50 % des contrats signés semble à cette échéance un objectif raisonnable. Le même processus a eu lieu avec la loi Hamon de 2014, qui a permis de résilier son assurance automobile ou habitation à tout moment après son premier anniversaire, pour les contrats souscrits à partir du 1er janvier 2015. C’est surtout aujourd’hui, quatre ans après, que ses effets sont flagrants. »
Pour le courtier Magnolia.fr, le bilan en demi-teinte s’explique en outre par des « pratiques douteuses des banques visant à refuser de manière illégitime un grand nombre de demandes de délégation - courriers de refus aberrants, allers-retours incessants entre banque et emprunteur, dépassement des délais de réponse ».
De 70 % à 25 % de refus
« En début d’année, nous essuyions environ 70 % de refus de la part des banques, dont une grande partie injustifiée. Certains étaient par exemple liés au flou autour de la date anniversaire du contrat. D’autres étaient tout simplement aberrants, voyez par exemple cette réponse envoyée fin juillet par le Crédit agricole : “Après analyse de votre dossier, nous vous confirmons que vous bénéficiez aujourd’hui d’un contrat groupe de bonne qualité tant sur l’aspect qualitatif que sur l’aspect financier. A ce titre, nous ne pouvons donner une suite favorable à votre demande.” »
« Nous avons dû nous organiser, monter un pôle juridique et proposer à nos clients de nous charger gratuitement des démarches de résiliation pour eux », poursuit Astrid Cousin. « Si aujourd’hui le taux de refus n’est plus que de 25 %, et qu’il s’agit principalement désormais de refus légitimes, les réponses farfelues n’ont pas disparu. Nous les envoyons à l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Nous estimons qu’un contrôle des banques plus intensif de sa part serait efficace. »
Au final, 21 % des clients ayant souscrit une assurance en délégation via Magnolia.fr en 2018 racontent que leurs démarches se sont déroulées « facilement, il n’y a pas de quoi en faire tout un plat », 49 % « plutôt bien, j’ai été accompagné » et 30 % « difficilement », invoquant principalement une banque « réticente », indique le courtier dans son bilan.
Quelle économie ont-ils réalisé ? Plus de 10 000 euros pour 13,5 % d’entre eux, entre 5 000 et 10 000 euros pour 16,2 %, entre 1 000 et 5 000 € pour 41,9 %, entre 500 et 1 000 euros pour 28,4 % (économie sur la durée totale du prêt, s’il est mené à son terme). Comment ont-ils entendu parler de ce droit ? A 70 % par les médias, 18 % par leurs proches, 9 % par un courtier, 3 % par la banque.