« Doubles vies » : petites apocalypses numériques
« Doubles vies » : petites apocalypses numériques
Par Thomas Sotinel
Olivier Assayas signe la première comédie pure de sa filmographie, avec Juliette Binoche et Guillaume Canet.
Prise au jour le jour, l’Apocalypse peut être comique. Olivier Assayas en fait la démonstration, comme par inadvertance, au long de Doubles vies, première comédie pure de sa filmographie. Cinq personnages, attachants ou dérisoires, s’agitent face à la disparition de ce qui fut l’un des piliers des civilisations : le livre. L’enjeu est d’importance, mais s’il pèse sur les personnages, c’est pour les obliger à des contorsions plutôt qu’à la profondeur. La virtuosité d’Assayas est de synchroniser le mouvement de ces deux forces inégales. La magnitude de la catastrophe et la petitesse des aspirations et des désirs font deux meules qui broient menu les vies de quelques-uns de nos contemporains.
Léonard (Vincent Macaigne) et Alain (Guillaume Canet) d’abord. Le premier est un romancier lunaire qui pratique l’autofiction. Il affecte de ne rien comprendre à l’époque (rencontrant quelques lecteurs, Léonard tombe de l’armoire, ou fait mine de, en découvrant qu’un de ses livres a déclenché une escarmouche sur les réseaux sociaux) et refuse de quitter le sillon dans lequel sa carrière a germé, produisant plus de bonnes critiques que de ventes. Le second est l’éditeur du premier. Il se soucie de faire passer son entreprise – prestigieuse, déficitaire – dans l’âge numérique, est convaincu de l’utilité des blogs, rechigne à l’idée de publier un recueil de Tweet. Cette suggestion a été émise par Laure (Christa Théret), zélote de la dématérialisation qui consent un moment à devenir la maîtresse d’Alain.
Ce que devine Selena (Juliette Binoche), épouse de ce dernier. Actrice de théâtre, elle est célèbre grâce à Collusion, une série policière que tout le monde appelle « collision », dans laquelle elle joue une spécialiste des situations de crise. A la ville, elle gère sa crise conjugale dans les bras de Léonard. Valérie (Nora Hamzawi), la compagne de l’écrivain, reste la seule à ne pas participer activement à cet entrelacs boulevardier, occupée à promouvoir la carrière politique de David (Nicolas Bouchaud), le parlementaire intègre mais faillible dont elle est l’assistante.
Inquiétude coléreuse
Passent – à l’écran ou hors champ – des figures familières. Pascal Greggory incarne nonchalamment le patron du groupe auquel appartient la maison d’édition : il exprime en quelques plans la désillusion d’un homme d’argent qui a cru pouvoir faire le bien tout en faisant de l’argent. Forcé de choisir, il préfère vendre sa danseuse à un magnat dont on apprend qu’il a fait fortune dans le Minitel rose et aime le rock alternatif. On peut prendre ces fragments d’actualité pour des private jokes, mais il semble que l’énergie qui meut ces aspirations éternelles et dérisoires (l’assouvissement des pulsions, la préservation de ce qu’on aime ou révère) relève plus d’une inquiétude coléreuse que de la dérision.
Ce n’est pas la première fois qu’Assayas met au premier plan l’invasion de nos vies par le numérique. A cet égard, Demonlover, en 2002, était prophétique. Mais le temps des devins est passé, et ce que met en scène Doubles vies, c’est l’impossibilité de discerner l’avenir, que les personnages pallient par des vaticinations de salon et leurs aventures d’alcôve.
L’esprit d’Assayas ne s’exprime pas tant par les dialogues qu’échangent les personnages que par la caractérisation instantanée de personnages et de situations à travers l’expression de lieux communs. Juliette Binoche se prête au jeu avec une énergie sardonique qui n’épargne ni son personnage ni le métier de celui-ci. Dans le souci magnanime d’entrouvrir une porte de sortie au spectateur, le metteur en scène a demandé à Nora Hamzawi d’incarner un autre rapport au monde, fait d’action et de projection dans l’avenir. La débutante y déploie un charme et une autorité qui ferait presque croire à la conclusion, inattendue par son optimisme.
DOUBLES VIES d'Olivier Assayas - Bande-annonce - le 16 janvier au cinéma
Durée : 01:35
Film français d’Olivier Assayas. Avec Juliette Binoche, Guillaume Canet, Nora Hamzawi, Vincent Macaigne (1 h 48). Sur le Web : www.advitamdistribution.com/films/doubles-vies
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 16 janvier)
- Doubles vies, film français d’Olivier Assayas (à ne pas manquer)
- Glass, film américain de M. Night Shyamalan (à ne pas manquer)
- Ayka, film allemand, chinois, kazakh, polonais et russe de Sergey Dvortsevoy (à voir)
- Mallé en son exil, documentaire français de Denis Gheerbrant (à voir)
- The Front Runner, film américain de Jason Reitman (à voir)
- Une jeunesse dorée, film français d’Eva Ionesco (à voir)
- Ben Is Back, film américain de Peter Hedges (pourquoi pas)
- Holy Lands, film belge et français d’Amanda Sthers (pourquoi pas)
- Capri-Révolution, film italien et français de Mario Martone (on peut éviter)
- Colette, film américain et britannique de Wash Westmoreland (on peut éviter)
A l’affiche également :
- L’Incroyable Histoire du facteur Cheval, film français de Niels Tavernier
- Le Musée des au revoir, film français de François Zabalata