Droits de mutation : une erreur comptable qui coûte 1,9 milliard d’euros
Droits de mutation : une erreur comptable qui coûte 1,9 milliard d’euros
Par Patrick Roger
La Cour des comptes a relevé une sous-estimation de la direction générale des finances publiques en 2017, qui affecte la comptabilité de l’Etat de près de 2 milliards d’euros.
Ce n’est pas le bug du siècle, mais un dysfonctionnement suffisamment sérieux pour que la Cour des comptes soit alertée et que, dans un référé, rendu public mercredi 16 janvier, elle demande au ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, de prendre d’urgence des mesures correctives. Non, il ne s’agit pas du passage au prélèvement à la source, qui mobilise actuellement une bonne partie de l’administration de Bercy, mais d’une opération plus modeste, menée en septembre 2017, concernant la comptabilisation des droits de mutation acquittés par les notaires, à l’occasion des cessions de biens, donations ou successions, dont le montant s’est élevé, en 2017, à 11,5 milliards d’euros.
Le 25 janvier 2018, la direction générale des finances publiques (DGFiP) constate une anomalie dans la comptabilité budgétaire de l’Etat. Des sommes importantes encaissées en 2017 au titre de ces droits de mutation n’ont pas été comptabilisées en recettes. Il en résulte une sous-évaluation de 1,5 milliard d’euros des recettes budgétaires de l’Etat en 2017 et, pour les collectivités territoriales et la Sécurité sociale, une sous-estimation des sommes destinées à leur être versées de, respectivement, 350 millions et 50 millions d’euros. Soit un montant total de recettes non affectées de 1,9 milliard d’euros.
Problème, lorsque l’erreur est découverte, il est trop tard pour corriger la comptabilité budgétaire puisque la loi impose que le solde d’exécution soit arrêté avant le 20 janvier. Une situation, note la Cour, « de nature à fausser la signification des résultats budgétaires des années 2017 et 2018 », puisque ce qui n’a pas été comptabilisé en 2017 le sera sur l’exercice suivant. L’institution de la rue Cambon s’étonne que cette situation et son ampleur n’aient été portées à sa connaissance que fin mars et de n’avoir été informée sur la nature de cet incident que le 17 avril 2018.
Profonde réorganisation
Pour la Cour des comptes, « ce cas illustre une conduite du changement défaillante, caractérisée par un manque d’anticipation des conséquences des décisions prises » de la part de la DGFiP. En d’autres termes, comme le résume un fin connaisseur de l’administration de Bercy, c’est « un gros caillou dans son soulier ». Les magistrats financiers, comme c’est leur mission, ont enquêté sur l’enchevêtrement de causes qui a conduit à ce cafouillage.
Dans un premier temps, la DGFiP décide de réorganiser les services chargés de traiter les formalités d’enregistrement des droits de mutation, auparavant rattachés aux services des impôts des entreprises. Pour procéder à ces opérations, elle va donc créer cent sept entités nouvelles rattachées aux services de publicité foncière ou aux services départementaux de l’enregistrement. Il en résulte une profonde réorganisation physique et géographique des équipes et, surtout, note la Cour, « une perte importante de compétences puisque deux tiers des agents auparavant chargés de la gestion des droits de mutation n’ont pas suivi leurs missions dans les structures nouvellement créées ».
Nouvelles équipes, moins formées, résultat : le rythme de traitement des dossiers ralentit, et les stocks s’accumulent. Comme, en outre, cette opération de réorganisation a été menée en fin d’année, à une période où le flux de donations et de successions augmente traditionnellement, c’est la thrombose. S’y ajoute la mise en place simultanée d’une nouvelle application informatique, qui a également provoqué des retards dans l’imputation budgétaire des droits de mutation. La totale !
Audit interne
« Comme à son habitude, la DGFiP a mené ce projet à sa façon, en silo, pas de manière cohérente et coordonnée entre les services informatiques, relations humaines et comptables, constate le même observateur. Et comme ils n’avaient mesuré ni les risques ni les difficultés, aucun signal d’alerte n’a fonctionné. » La Cour met également en cause cette « insuffisance des dispositifs d’alerte, tant entre la DGFiP et la direction du budget qu’entre les services de la DGFiP eux-mêmes ». « L’administration reconnaît n’avoir aucunement anticipé le risque de survenue de cet incident, indique le référé. Dès lors, elle a été incapable de le prévenir ou d’y remédier dans un délai compatible avec le calendrier d’arrêté des comptes de comptabilité budgétaire. »
« J’ai demandé à ce que toutes actions correctives soient entreprises sans délai », assure M. Darmanin dans sa réponse. Un audit interne a été diligenté. « Cet examen a permis la mise en place de mesures correctives immédiates qui ont permis de prévenir d’autres situations comparables », précise un membre de la DGFiP, joint par Le Monde, qui se défend d’« une simple difficulté de conduite du changement ». Et tient en outre à relativiser « les conséquences pénalisantes de cette situation, circonscrites à la seule comptabilité budgétaire ».
Cet épisode n’en est pas moins révélateur des limites des capacités d’adaptation et de modernisation d’un système caractérisé par des pesanteurs et un fort cloisonnement. « Chacun s’occupe de son bout de sujet, ce n’est pas géré en mode projet et personne n’en a conscience », déplore ce même interlocuteur. Pas très rassurant, alors que l’administration de Bercy devrait connaître à brève échéance une réorganisation en profondeur dans le cadre du plan Action publique 2022.