Changer de métier pour donner du sens à sa vie
Changer de métier pour donner du sens à sa vie
Par Eric Nunès
De la banque à la boulangerie, du secteur privé au service public, de la communication à la musique… Ils ont quitté des activités prestigieuses ou rémunératrices pour construire, aider, transmettre. Témoignages.
Marion Laurent
Lycéens, étudiants, professeurs, parents, jeunes diplômés... « Le Monde » vous donne rendez-vous en 2019 à Saint-Etienne, Marseille, Nancy, Paris et Nantes pour de nouvelles éditions des événements O21 /S’orienter au 21e siècle. Des conférences et des rencontres inspirantes pour penser son avenir et trouver sa voie. Plus d’informations ici.
Ils étaient banquiers, ingénieurs, communicants… Des hommes et des femmes diplômés, des CSP + bien intégrés dans leur univers professionnel et souvent bien rémunérés. Après quelques années sur l’autoroute que leurs formations initiales leur avaient ouverte, ils ont bifurqué vers un chemin de traverse. Pourquoi quitter la voie rapide ? Parce que la vraie question n’est pas la vitesse du déplacement, mais ce que l’on veut atteindre. « Pourquoi je me lève chaque matin ? Mon métier a-t-il du sens ? Qu’est ce que je veux vraiment faire ou laisser ? » Telles sont les questions que se sont posées les nombreuses personnes qui ont répondu à l’appel à témoignages lancé sur Lemonde.fr. Trois profils se détachent parmi ces hommes et ces femmes qui ont décidé, à différentes étapes de leur vie, de changer de métier : ceux qui veulent faire, ceux qui veulent aider et enfin ceux qui veulent transmettre.
« Je n’avais plus l’envie »
La quarantaine approchant, la vie professionnelle de Cédric Arsac ressemble à un long fleuve tranquille. Marié, deux enfants, le diplômé d’un DESS (équivalent du master 2 actuel) de marketing de l’université de Clermont-Ferrand enchaîne les postes à responsabilité dans différentes banques. Pour pimenter ses week-ends, le marketer se prépare pour les championnats du monde d’Ironman où l’on enchaîne 4 kilomètres de natation, un marathon pour se dégourdir les jambes, suivi de 180 kilomètres de vélo pour faire bonne mesure. L’épreuve réclame une certaine préparation, Cédric prend trois mois de congés. Il ne remettra plus les pieds au bureau.
« Au moment de reprendre mon travail, je n’avais plus l’envie. Depuis des années, une petite voix me disait que je voulais faire du pain. J’ai toujours admiré le travail de Pierre Nury [boulanger et Meilleur Ouvrier de France], je me disais que si j’avais ce savoir-faire, combiné à mes compétences en marketing, il y avait du potentiel. » Le col blanc fait un test : un stage de quelques jours en boulangerie. Bingo ! « J’étais heureux de me lever à trois heures du matin pour me rendre au fournil. »
Le marketer passe un CAP de boulangerie, prépare son « business plan ». Cinq années plus tard, il fait tourner deux boulangeries dans le 13e arrondissement de Paris et qualifie en un seul mot sa nouvelle vie d’entrepreneur : « Epanouissant. »
Mais « faire », en donnant du sens à son métier, ne réclame pas forcément un changement aussi radical. « Cette quête a toujours existé pour les millennials. Ils l’ont dit tellement fort qu’ils ont été entendus et ont dû faire évoluer leurs métiers sans radicalement transformer ce qu’ils font », analyse Laurence Grandcolas, diplômée d’HEC et fondatrice de MySezame, start-up consacrée à l’innovation sociale dans l’entreprise.
Etre utile aux autres
Guillaume Lancrenon, 29 ans, est l’un de ceux-là. Tête bien faite, matheux, il suit la voie royale, une classe préparatoire, puis intègre l’école la mieux classée qu’il obtient, CentraleSupélec. Diplômé, il s’essaie à l’industrie et part découvrir le monde. Après trois années à faire de l’exploration pétrolière pour une multinationale, retour à Paris. L’ingénieur monte sa boîte et devient développeur Web et informatique. Il se régale, un temps, du mode « start-up » et de sa nouvelle indépendance.
Avant de déchanter. « J’ai eu des matins où, en me levant, je me demandais ce que je faisais et, surtout, pourquoi ». A moins de 30 ans, l’ingénieur a déjà deux carrières, en amorcer une troisième n’est pas un souci. Surtout qu’il décide de poursuivre dans ce qu’il maîtrise le mieux : l’informatique. Il va donc continuer à construire, développer du numérique. Mais cette fois pas pour un industriel ou une société de services, mais pour l’intérêt général : le service public. L’ingénieur rejoint Etalab, une mission gouvernementale chargée de la transformation numérique des administrations, et travaille à la création d’algorithmes de prédiction d’intervention pour aider les pompiers à mieux anticiper les ressources humaines et matérielles à mobiliser au quotidien. « Je construis une sorte de carte de prévision météo des interventions, explique-t-il. Ce que je fais a un sens très pratique. La question de savoir pourquoi je me lève le matin est balayée. »
ancien journaliste, devenu directeur d’un centre hospitalier
Avoir le sentiment d’être utile aux autres est un moteur puissant qui fait bouger les carrières. Longtemps, Stéphane Jaubert a été journaliste. Diplômé d’un DEA (équivalent du master 2 actuel) de philosophie, il intègre comme éditeur le quotidien La Tribune (dont l’édition papier a cessé en 2012), avant de rejoindre Télérama, puis La Vie. « Après quinze années dans un métier où j’étais bloqué, sans perspective d’évolution, je me suis demandé si je pouvais encore être utile, car je veux me sentir utile. »
La quarantaine bien entamée, Stéphane Jaubert tente un coup : le 3e concours de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Une voie directe, pour des personnes en milieu de carrière, permettant d’intégrer la direction des hôpitaux publics de France. Une fois le concours réussi, « les choses se sont éclairées, j’intégrais un métier qui réclame de l’engagement, des valeurs. Prendre soin des autres, c’est être dans l’action et, pour moi, retrouver du sens, une utilité professionnelle ». L’élève directeur, et ancien journaliste, prendra en janvier 2019 le poste de directeur délégué en charge des finances et des travaux du centre hospitalier de Clermont, dans l’Oise.
Repartir de zéro
Un concours passerelle pour changer de vie et trouver du sens, c’est aussi le chemin parcouru par Marion (le prénom a été changé). Bonne élève au lycée, famille et professeurs l’engagent à devenir ingénieure. La jeune femme intègre une grande école d’agronomie. « J’aime alors la recherche, témoigne-t-elle. Mais la gestion, l’économie, l’aspect mercantile, beaucoup moins. Moi, j’ai besoin d’être utile aux autres et de manière immédiate. » L’apprentie ingénieure craque après une énième journée en laboratoire derrière son microscope. « Quand mon travail aura-t-il un impact sur la vie des gens ? », se demande-t-elle.
Elle n’attendra pas la réponse. A 27 ans, Marion intègre médecine en 3e année. A l’heure où ses camarades de promo sont confortablement installés dans la vie professionnelle, elle repart de presque zéro pour un cycle d’études long et devenir médecin urgentiste. « Aujourd’hui, mon métier fait complètement sens. J’ai, chaque jour, le sentiment d’avoir réalisé les bons gestes, d’être utile. »
Etre utile, c’est aussi transmettre. C’est la voie qui donne du sens pour beaucoup de témoins. Romain Moracchini, 46 ans, titulaire d’une maîtrise (équivalent du master 1 actuel) d’économie à Paris-XII et d’un MBA de l’université du Vermont aux Etats-Unis, l’a choisie à la naissance de son fils. Il était cadre bancaire dans une grande banque suisse, aujourd’hui dans la tourmente. « J’ai entretenu un rapport conflictuel entre mes valeurs et la rationalisation du capitalisme financier », analyse-t-il. Jusqu’au point de rupture. « J’ai démissionné pour devenir papa au foyer et permettre à ma femme de continuer d’évoluer dans son métier », dit-il. Aujourd’hui, le banquier partage son expérience comme formateur en technique de recherche d’emploi, consacré aux autres.
Etre libre de ses choix, de son emploi du temps, c’est également l’un des moteurs de Pauline Benveniste, 43 ans. Titulaire d’un DESS de communication aux Arts et Métiers, elle mène une première carrière de communicante dans des cabinets de conseils à des entreprises. C’est le côté face, celui qui lui rapporte des revenus et construit l’aspect matériel de son existence. Côté pile, il y a la musique, les concerts qu’elle organise, le Conservatoire de piano qu’elle a longtemps fréquenté. « Une partie de moi travaillait beaucoup, mais sans passion. J’avais l’impression de jouer un rôle. » Dans son dernier poste de communicante, un N + 1 trop rigide lui fait claquer la porte. Un soulagement, un déclic : « Je vais devenir professeure de piano. »
« Cela a tout changé, je suis épanouie, heureuse de travailler, de reprendre chaque jour mon travail. J’ai l’impression d’apporter quelque chose à mes élèves, de les faire progresser, de leur donner envie de faire aimer la musique. Ensuite, quand j’en aurai marre, je changerai. J’ai déjà changé une fois, j’ai la force et l’expérience pour recommencer. » Oser, la clé pour retrouver du sens.
« Directeur du bonheur » ou « Bullshit jobs » ?
Directeur du bonheur
Rendre heureux les employés d’une entreprise, à l’heure où 52 % des Français se déclarent anxieux au travail (étude du cabinet Stimulus, novembre 2017). Telle est la mission de ce métier d’un nouveau genre qui se développe peu à peu : le chief happiness officer. Un « directeur général du bonheur » destiné à accroître le bien-être au travail… et à rendre les salariés plus engagés et plus performants au quotidien. Séances de baby-foot, mise en place d’une salle de sport dans les locaux ou encore week-end de team building… Des arguments de communication ou des solutions véritables ?
« Bullshit job »
Concept venu du monde anglo-saxon, popularisé par l’anthropologue David Graeber, le terme bullshit job désigne tous ces métiers aux tâches inutiles et dénuées d’intérêt pour la société qui regorgent dans les bureaux. Une mise en lumière de la crise de sens vécue par les travailleurs en col blanc, sur laquelle s’est également penché le journaliste Jean-Laurent Cassely. Dans son essai La Révolte des premiers de la classe (Arkhê, 2017), vendu à 15 000 exemplaires, il retrace le parcours de ces jeunes diplômés de HEC et de Sciences Po qui fuient les « métiers à la con » et veulent aller voir ce qui se passe en dehors des open spaces. L’auteur lit dans cet épiphénomène le début d’une inversion des critères de prestige scolaire et professionnel. « Le hipster microbrasseur ou le pâtissier s’est peu à peu substitué aux héros de la mondialisation heureuse : les cadres sup de la Défense », racontait Jean-Laurent Cassely au Monde en juillet 2017.
Participez aux événements du « Monde » O21 / S’orienter au 21e siècle
Lycéens, étudiants, professeurs, parents, jeunes diplômés... « Le Monde » vous donne rendez-vous en 2019 dans cinq villes de France pour de nouvelles éditions des événements O21 /s’orienter au 21e siècle. Des conférences et des rencontres inspirantes pour penser son avenir et permettre à chacun de trouver sa voie.
- A Saint-Etienne, le jeudi 17 janvier 2019, à La Comédie de Saint-Etienne. Entrée libre sur inscription : cliquez ici pour télécharger votre invitation
Plus d’informations sur le programme ici
- A Marseille, le mardi 5 février 2019, au Silo (2e). Entrée libre sur inscription : cliquez ici pour télécharger votre invitation
- A Nancy, le jeudi 28 février 2019, au Centre Prouvé. Entrée libre sur inscription : cliquez ici pour télécharger votre invitation
- A Paris, le mercredi 6 et le jeudi 7 avril 2019, à Ground Control (12e). Entrée libre sur inscription : cliquez ici pour télécharger votre invitation
- A Nantes, à l’automne 2019, à la Cité des congrès. Inscriptions prochainement.
O21 est en accès libre, sur inscription.
Pour y participer en groupe (classes, associations, municipalités…), il est possible d’effectuer des inscriptions collectives par e-mail (education-O21@lemonde.fr). L’éducation nationale étant partenaire de l’événement, les lycées peuvent organiser la venue de leurs élèves durant le temps scolaire.