Le commerce florissant des os de lions en Afrique du Sud
Le commerce florissant des os de lions en Afrique du Sud
Par Ross Harvey
En 2018, le seul pays africain pratiquant l’élevage des félins a presque doublé son quota de vente de squelettes et approvisionne ainsi le marché asiatique.
Lionne à l’affût. / DR
L’Afrique compte entre 20 000 et 30 000 lions sauvages. Mais les chercheurs ont de bonnes raisons de croire que leur nombre réel avoisine plutôt la fourchette basse de cette estimation, classant les lions dans la catégorie « vulnérable » des espèces menacées.
Cette catégorisation ne suffit cependant pas à restituer la réalité. Car les seules populations de félins en croissance sont parquées dans des réserves surveillées. Nous n’avons pas seulement affaire à une crise de l’espèce, mais aussi à une crise économique et écologique. Rappelons encore que les lions constituent de superprédateurs : des chaînes alimentaires et des systèmes écologiques entiers dépendent de leurs populations et de leur bonne santé. Ils contribuent par ailleurs largement au tourisme, une source majeure d’emplois et de revenus pour les communautés locales.
Destination Asie
En Afrique du Sud, et seulement dans ce pays, on autorise désormais l’élevage de lions en captivité. Or cette situation ne répond généralement à aucun objectif de conservation : 7 000 à 8 000 lions évolueraient ainsi en captivité dans près de 300 établissements. Ces animaux sont majoritairement élevés pour la hunt box – une chasse qui consiste à tuer les félins au fusil à lunette à l’abri d’une hutte fermée (box) – et le marché asiatique de leurs os.
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Durée : 08:46
A la suite d’une campagne mondiale, ce type de chasse a connu ces dernières années une désaffection. Les associations de défense des animaux affirment aujourd’hui que les lions captifs sont de plus en plus la cible du commerce d’os.
Un rapport préparé par la Fondation EMS et l’organisation Ban Animal Trading,montre que les os de lions sont vendus sur le marché noir comme étant des os de tigres. Plongés dans des cuves de vin de riz puis vendus comme du vin d’os de tigre, ils possèdent pour les marchés asiatiques une symbolique forte : on les conseille notamment pour traiter les rhumatismes et l’impuissance. Les os servent aussi à fabriquer des gâteaux d’os de tigre, des barres exotiques d’os mélangés à des additifs, comme de la carapace de tortue par exemple.
Les dérives de l’élevage en captivité
Le rapport avance que la plupart des os de lion proviennent de lions élevés en captivité en Afrique du Sud.
Même si elle est moralement détestable, cette forme d’élevage n’a rien d’illégal. Certaines limites existent cependant. En 2016, la 17e conférence de la Convetion sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) décidait qu’aucune exportation d’os issus de lions sauvages ne serait autorisée. Mais la conférence s’est aussi accordée sur le fait que l’Afrique du Sud devrait établir un quota pour les exportations de squelettes issus de lions élevés en captivité. L’élevage en captivité n’existant qu’à l’échelle de l’Afrique du Sud, aucun autre pays n’est donc autorisé à exporter des os de lion.
Un an plus tard, en 2017, le département des affaires environnementales a mis en place un quota d’exportation de squelettes de lion limité au nombre de 800 par an et l’a porté en juillet 2018 à 1 500, et ce sans consultation publique et à l’appui d’aucuns travaux scientifiques. Même un rapport intermédiaire préparé pour le département par le South African National Biodiversity Institute n’a pas spécifié les motifs sur lesquels établir ou étendre un tel quota.
Ajoutons à cela que la régulation des établissements d’élevage de lions est bien faible. Le département ne dispose ainsi d’aucune base de données de travail, et ignore donc combien d’établissements existent et combien de prédateurs sont élevés en captivité.
Chasse, squelettes et os bouillis
Le nouveau rapport du South African Institute of International Affairs analyse les liens entre installations d’élevage et commerce des os de lion.
Les établissements organisent des chasses coûtant environ 22 000 dollars pour un lot d’un mâle et d’une femelle. Le chercheur Karl Amman, spécialiste de la faune sauvage, décrit comment les taxidermistes vendent ensuite les squelettes de lions (sans les crânes) aux acheteurs, généralement dans les pays asiatiques. Un squelette peut coûter 1 500 dollars.
L’importateur vend ensuite les os entre 700 et 800 dollars le kilo. Un lion de 100 kg contient environ 18 kg d’os, qui valent approximativement 15 000 dollars dans la chaîne d’approvisionnement. Les os sont ensuite transformés au Vietnam, où ils sont bouillis dans de larges pots pour produire des barres de gâteau, vendues à environ 1 000 dollars l’unité.
Les défenseurs des espèces menacées redoutent que les quotas sud-africains ne fournissent une incitation à élever des lions non seulement pour la chasse, mais aussi pour ce commerce d’os en plein essor.
Le quota de 2017 a été pleinement atteint en quelques semaines tandis que le rapport récemment publié par la CITES suggère que 3 469 squelettes ont été exportés cette année, soit plus du double du nombre alloué.
Cette intensification n’a malheureusement rien de surprenant. En 2016, les Etats-Unis avaient banni l’importation des trophées de lions d’origine captive en provenance d’Afrique du Sud. Les installations d’élevage ont donc commencé à chercher de nouveaux marchés. Vendre des carcasses de lions apparaissait comme une alternative évidente, étant donné que le squelette d’une lionne peut rapporter environ 30 000 dollars et celui d’un mâle environ 50 000 dollars, lorsqu’il est vendu à un négociant.
Réveil des consciences et rôle des autorités
L’industrie d’élevage de félins prédateurs en Afrique du Sud avance de son côté que les populations de lions en captivité servent de frein au braconnage des lions sauvages, puisqu’elles satisfont la demande en os.
Mais leurs opposants ont prouvé l’inverse. Le quota pourrait au contraire alimenter la demande pour des produits à base de lion et fournir un canal de blanchiment d’argent pour les lions sauvages obtenus illégalement. Cela met en danger des populations vulnérables de lions sauvages ailleurs en Afrique. Et rend l’application de la loi extrêmement difficile : on ne peut en effet attendre des autorités de savoir distinguer entre un stock d’os obtenu légalement et illégalement.
L’indignation publique face à un quota apparemment arbitraire a été notable et l’opposition à la hunt box et au commerce d’os a été véhémente. Les arguments contre ont émergé lors d’un colloque de deux jours au Parlement sud-africain. La question posée était la suivante : l’industrie d’élevage de lions en captivité nuit-elle à la conservation de l’espèce ou la promeut-elle ?
La commission parlementaire aux affaires environnementales a publié par la suite un rapport, conseillant au ministère d’effectuer un contrôle judiciaire de l’industrie d’élevage de prédateurs en captivité. Espérons que le gouvernement accepte de rendre des comptes et d’agir pour mettre un terme à la brutalité de ces pratiques.
Ross Harvey est un chercheur en gestion des ressources naturelles en Afrique au South African Institute of International Affairs.
Traduit de l’anglais par Nolwenn Jaumouillé.
Cet article a déjà été publié sur le site de The Conversation.