Rémy Escale Benedeyt et sa bonne étoile
Rémy Escale Benedeyt et sa bonne étoile
Par Pascal Galinier
A 19 ans, il est passé du clavier d’ordinateur au piano de cuisine. Un changement d’orientation qui a réussi au jeune chef, très vite distingué par le guide Michelin et désormais à la tête de son propre restaurant.
Rémy Escale Benedeyt au Zoko Moko, à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques) en 2013. / Jean-Daniel Chopin/MAXPPP
Tout a commencé dans un cours d’informatique. C’était à l’Eigsi, l’école d’ingénieurs en génie des systèmes industriels, à La Rochelle. « Je m’ennuyais, et je pensais à la mayonnaise que je devais faire pour ma mère en rentrant. Sur mon ordinateur de cours, j’ai commencé à chercher une recette sur Internet, et je suis tombé sur le site de l’école Ferrandi à Paris. Je me suis dit : “C’est ça que je veux faire.” »
Exit l’informatique, bonjour la cuisine. Adieu l’Eigsi, en route pour Ferrandi. « Quand j’ai envie de faire un truc, je le fais. Quand je n’ai pas envie, je ne le fais pas », affirme celui qui est devenu un chef étoilé au Michelin en 2013.
Ni une vocation ni une tradition
La cuisine n’était ni une vocation ni une tradition pour Rémy Escale Benedeyt, 32 ans aujourd’hui : « Il n’y a aucun cuisinier ni restaurateur dans ma famille. » L’ex-futur ingénieur sait qu’il doit d’abord convaincre ses parents. Son père surtout, médecin du sport à Mont-de-Marsan. Méthodique, le jeune Rémy se renseigne, s’informe, constitue un dossier. « J’ai rencontré un élève de Ferrandi à Saint-Jean-de-Luz, j’ai mûri le projet. Pas facile pour mon père… »
Mais le cadet ne baisse pas la garde. « J’étais allé à l’Eigsi parce que mon grand frère en sortait. » Sa grande école à lui, ce sera Ferrandi. Le voilà donc qui « monte à Paris », comme on dit « en province ». « Ferrandi a été un tremplin. Les cours s’adaptent à des profils atypiques comme le mien. On est un peu maître de sa formation. Je me suis retrouvé avec un chimiste, un étudiant en droit… Ils avaient choisi de faire ce métier à 19-20 ans, comme moi. »
C’est son premier constat – son premier conseil ? Ne pas partir trop tôt, trop vite. « Le jeune qui démarre la cuisine à 15 ans, il va mettre du temps, il va se fatiguer pendant des années à faire des tâches subalternes, et devra attendre pour faire vraiment de la cuisine. »
Attendre, c’est pas son truc. « Je n’ai pas fini la dernière année à Ferrandi, raconte-t-il. J’avais très envie de mettre en pratique ce que j’avais appris, envie de m’y mettre enfin. J’ai cherché du travail. » A Paris, il rencontre le restaurateur alors en vogue Yves Camdeborde. Un gars du pays, natif de Pau. Le roi de la bistronomie recommande son petit prince à Jean-François Piège, aujourd’hui doublement étoilé au Michelin. Fin 2008, Rémy Escale Benedeyt rejoint donc la brigade du restaurant parisien Les Ambassadeurs, à l’Hôtel de Crillon. Pendant quatre ans et demi, il participera à l’ouverture de deux restaurants avec le chef Piège. Et il apprendra « tout », résume-t-il d’un mot.
Plus jeune chef étoilé de France
Mais après « quatre ans et demi » dans la capitale, il a « eu envie de rentrer à la maison ». Or, justement, fin 2011, à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), le restaurant Zoko Moko se cherche un nouveau chef. « A 25 ans, le challenge était ambitieux. Je devais me faire accepter par la brigade, plus âgée que moi. C’est là que j’ai appris à cuisiner pour de bon, avec du vieux matériel, des trucs à l’ancienne. »
Des « trucs » qui lui vaudront, dix-huit mois plus tard, « à la surprise générale », assure-t-il, une étoile au guide Michelin (édition 2013). Faisant du Zoko Moko le seul restaurant étoilé de Saint-Jean-de-Luz, et du Basque bondissant de 26 ans, le plus jeune chef de France à décrocher le précieux macaron, deux ans avant Ludovic Turac, star de l’émission « Top Chef » 2011, qui sera étoilé au même âge, en 2015, dans son restaurant marseillais, Une Table au Sud.
Rémy Escale Benedeyt affecte de n’en tirer aucune gloire. « Quand on a été formé par Ferrandi et chez Piège, on est préparé à ça », souligne-t-il. Tout en admettant, mi-figue, mi-raisin, que « c’est une reconnaissance dont rêvent tous les cuisiniers… même ceux qui s’en défendent ».
Dans sa tête, il est déjà ailleurs. L’étoile décrochée, il est temps de passer à autre chose. De « [se] mettre à [son] compte ». De retour au pays, il y a retrouvé Jean Van de Velde, son ami d’enfance devenu, lui, cadre chez Airbus, après des études à l’Inseec et à Kedge, l’école de commerce de Bordeaux. « Tout jeunes, on s’était dit que, un jour, on monterait une affaire ensemble, se souvient ce dernier. Rémy a des convictions assez tranchées, je crois qu’il s’intéressait à la cuisine depuis longtemps, sans trop en parler… »
En mode start-up
Les deux compères se lancent en mode start-up. Ils rachètent une ancienne table étoilée au cœur de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). La relookent façon bistronomie. La rebaptisent L’Entre Deux, en forme de double clin d’œil. A leur amitié – « Un établissement qui leur ressemble et qui véhicule des valeurs chères à leurs yeux : convivialité et audace », précise le site Web du restaurant. Et à la cuisine qu’entend défendre le jeune chef. « A mi-chemin entre la simplicité et la gastronomie », selon le Gault & Millau. « Un néobistrot au sérieux classieux », pour le guide Fooding. « Un bistrot branché, chaleureux et décoré avec goût », résume le Michelin.
D’abord tête pensante et calculante de l’entreprise – « c’est le côté entrepreneuriat qui me plaisait », glisse-t-il –, Jean Van de Velde met vite la main à la pâte, en salle. Une pâtissière du cru, Emilie Laroche, se joindra à eux en 2018.
Etoilé ou pas, l’ancien élève de Jean-François Piège ne dévie pas d’un pouce de sa ligne culinaire : rester au plus près du produit. « Je me dis plutôt interprète de la cuisine bourgeoise que créateur de nouveaux goûts, de nouveaux plats ou d’une nouvelle cuisine », a-t-il confié, en 2013, au site Rendez-vous des arts culinaires.
Oui mais… la perte du macaron Bibendum ? « A L’Entre Deux, on n’est pas dans les codes du Michelin, c’est sûr. Mais on s’en fout. L’essentiel est dans l’assiette. » Les inspecteurs du Guide rouge lui en rendent justice : « Il associe les saveurs avec brio et fait preuve d’une maîtrise technique sans failles : on passe un super moment. »