Les trottinettes électriques, une opportunité et un casse-tête pour les pouvoirs publics
Les trottinettes électriques, une opportunité et un casse-tête pour les pouvoirs publics
Par Thibault Genouville
Prises de vitesse par ces deux roues connectés, les mairies ne disposent pas encore de l’arsenal juridique pour répondre à ces interrogations.
A Bordeaux le 27 septembre 2018. / MEHDI FEDOUACH / AFP
Conducteurs ou piétons, habitants et touristes, jeunes et moins jeunes… Depuis cet été, personne n’est indifférent aux trottinettes électriques qui sillonnent les rues de plusieurs grandes villes françaises. Et, face à cette floraison, tout le monde se pose un certain nombre de questions. Où doivent-elles circuler ? Qui peut les conduire ? Où et comment les stationner ?
Prises de vitesse par ces deux roues connectés, les mairies ne disposent pas encore de l’arsenal juridique pour répondre à ces interrogations. « Ils n’ont en théorie le droit de rouler nulle part », affirme au Monde Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo à l’Hôtel de ville.
Alors qu’Uber ou Heetch avaient fait évoluer la loi en 2016, c’est désormais Lime et Bird, opérateurs de trottinettes électriques, qui obligent les pouvoirs publics à faire changer la législation – à San Francisco, ces deux plates-formes ont été interdites. Sans aller jusque-là, le projet de loi d’orientation des mobilités, présentée le 26 novembre 2018 en conseil des ministres, entend définir une nouvelle catégorie de véhicules, et les conditions d’usage, de circulation et de stationnement qui s’y appliqueront.
Nouveaux évangélistes
Pas de quoi ternir l’enthousiasme des entrepreneurs concernés. « On est face à une révolution comme la voiture individuelle », annonce, prophétique, Kenneth Schlenker, le directeur de Bird France qui souhaite « réduire la congestion et la pollution en diminuant l’usage de la voiture ». Un constat partagé par Arthur-Louis Jacquier, son alter ego chez Lime, dont l’ambition est d’offrir un mode de déplacement « plus doux, ludique et écologique ». Ces nouveaux évangélistes de la mobilité tout droit sortis d’espaces de coworking assurent « travailler main dans la main avec la Ville de Paris » afin d’assurer une révolution en douceur.
Chiffres à l’appui, ils soutiennent que leur hypercroissance reflète une demande bien réelle. D’une part, les trottinettes décongestionnent des routes souvent embouteillées en n’y occupant qu’un très mince espace. De l’autre, l’accès en « free-floating » – en libre-service et sans attache – permet de localiser les véhicules à proximité par GPS et de pouvoir les garer librement au point d’arrivée, quitte à encombrer l’espace public.
Des arguments qui ont forcément intéressé la Ville de Paris, soucieuse de proposer des alternatives à la voiture individuelle et confrontée à la fin d’Autolib. Si pour M. Grégoire « tout ce qui contribue à abandonner sa voiture est une excellente nouvelle », il doute néanmoins que l’adoption des trottinettes se fasse exclusivement au détriment des voitures et scooters. D’un point de vue écologique, « le meilleur moyen de transport reste la marche à pieds, il ne s’agirait donc pas de convertir des piétons à l’usage de trottinettes », rappelle-t-il. Un risque renforcé par l’aspect ludique de ces véhicules accessibles à tous qu’un simple coup de pouce propulse à 25 km/h.
284 blessés en 2017
L’absence de régulation pose frontalement la question de la sécurité. Le Parisien recense pas moins de 284 blessés et 5 morts par accidents de trottinettes en 2017, tout modèles confondus, en France. Des chiffres alarmants dont on peut attendre une forte hausse en 2018 au vu du bond exponentiel de ces véhicules. « On manque encore de recul sur l’accidentologie », confesse M. Grégoire qui souhaite définir « la frontière entre la prévention des risques et l’acceptabilité ». Un avis partagé par les opérateurs aux yeux desquels ce modèle ne sera pas viable sans être sécurisé, et qui ont donc sérieusement investi afin de garantir des conditions de circulation et de freinage optimales.
Depuis juin, Lime a déjà disposé cinq modèles de trottinettes différents et assure que « c’est le cadre légal qui va être le grand pas en avant pour la sécurité ». Il en est de même pour Bird, qui insiste sur la nécessité de brider les engins à 25 km/h. Les opérateurs souhaitent voir la loi évoluer, en garantissant par exemple l’interdiction de rouler sur les trottoirs. Le port du casque, encore optionnel et peu répandu, pourrait également être mis sur la table. Lime comme Bird assurent avoir été sollicités par les pouvoirs publics pour réfléchir à ces sujets.
Politiques et entreprises semblent s’accorder sur le principe mais dans les faits, les débats ne sont pas si simples. Certains arbitrages clés, comme le libre accès aux pistes cyclables pour les trottinettes, sont encore loin d’être tranchés. Alors que les opérateurs considèrent que ces voies doivent rapidement s’ouvrir à leurs véhicules, la mairie de Paris tempère en évoquant non pas une certitude, mais bien « une question qui se pose ».
Autre bémol, la gestion des espaces publics perturbés par la dispersion incontrôlée des trottinettes. Là-dessus, les différents protagonistes ont prouvé qu’ils savaient travailler ensemble. En décembre les applications mobiles ont interdit le stationnement dans les zones où manifestaient les « gilets jaunes ». Mais si tous acquiescent à l’idée de parkings dédiés aux trottinettes, le nombre et la taille de ces espaces, définis par la mairie mais dont Lime réclame « un maillage assez dense » pour assurer « la qualité de service », feront certainement débat.
Reste également la question du financement de ces aménagements. Pour M. Grégoire, sur ses gardes depuis l’échec financier d’Autolib, les opérateurs doivent concourir à la mise en place d’infrastructures « qui coûtent de l’argent », via « des redevances par exemple ». Une hypothèse envisageable pour Lime, qui préconise néanmoins d’évaluer « les coûts par rapport aux bénéfices ». Sur ce sujet, Emmanuel Grégoire prévient d’emblée : « On veut le succès, mais pas l’anarchie. »