Des smartphones pour sortir de la pauvreté
Des smartphones pour sortir de la pauvreté
Par Maryline Baumard
Alors que la France débute sa présidence du G7, la Fondation Gates a plaidé à Bercy les bienfaits de la finance mobile et de la « bancarisation » des femmes dans le monde.
Vendeuses de téléphones à Lagos, au Nigeria, en mai 2017. / Akintunde Akinleye/REUTERS
Le smartphone, outil de développement ? Pour Melinda Gates, l’affaire est entendue. Facile à ses yeux de transformer ces quelques centimètres carrés de silicium, déjà dans les poches de plus de 600 millions d’Africains, selon une étude Deloitte, en un booster de richesse. Il suffit que l’objet offre un accès à des services bancaires et soit donné, notamment, aux femmes.
Alors que la France a pris la présidence tournante du G7 au début de l’année, la philanthrope américaine était de passage à Paris, mardi 22 janvier, pour exposer au ministre français de l’économie, Bruno Le Maire, l’effet de levier de la banque digitale. Elle a rappelé que « si, au cours des cinq prochaines années, les populations des pays les plus pauvres accèdent à des services financiers, l’économie mondiale pourrait croître de 3 600 milliards de dollars », citant le rapport « Digital Finance for All » du cabinet de conseil McKinsey.
La coprésidente de la Fondation Bill et Melinda Gates (partenaire du Monde Afrique), dont les dons annuels aux pays en développement sont supérieurs aux dépenses de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), souhaite que le prochain G7, qui se déroulera à Biarritz du 24 au 26 août, inscrive ce sujet à son agenda. Une manière « de rendre le monde plus pacifique et plus stable », soulignait-elle à sa sortie de Bercy. Une façon aussi de coïncider avec l’agenda macronien, puisque le chef de l’Etat a placé son année de présidence du G7 sous le signe de la lutte contre les inégalités.
« En Afrique, mais aussi en Inde, de nombreuses études de terrain ont prouvé que si l’on procure à une femme une identité numérique et un compte en banque accessible par mobile, elle acquiert un statut différent et elle investit dans le bien-être de sa famille et de sa communauté », observe Mme Gates, qui insiste sur ce bénéfice à plusieurs niveaux, intimement persuadée qu’« avec un accès aux services financiers, une femme se voit différemment et qu’on la regarde différemment ». Disposer d’un compte permet bien sûr d’économiser pour éviter d’être soumis à des taux usuriers en cas d’imprévu, mais cela donne aussi à une femme une importance suffisante au sein de sa famille et dans sa société pour qu’elle s’autorise ensuite un accès « plus facile à la contraception », cet autre puissant « outil anti-pauvreté », comme le qualifie Mme Gates. Et c’est aussi ce « pouvoir » donné aux femmes sur leur vie qui intéresse Melinda Gates.
Favoriser la concurrence
Pour parvenir à ces conclusions, la Fondation s’appuie sur des études. Il y a une dizaine d’années, des travaux sur le système du microcrédit ont été menés et n’ont pas été concluants. En parallèle, la fondation de Seattle a donc lancé les premières études sur la « bancarisation » et a commencé à se pencher sérieusement sur tous les travaux sur le sujet. Contrairement à ceux portant sur le microcrédit, ils ont très tôt montré que lorsque les femmes ont accès à des comptes financiers leurs enfants sont en meilleure santé, leurs familles sont plus à même de sortir de la pauvreté et elles investissent davantage dans des activités génératrices de revenus. Des évolutions observées grandeur nature sur les vendeuses de rue au Kenya, mais aussi sur d’autres publics en Tanzanie, au Ghana ou au Sénégal et rapportées dans l’article de la revue Science, « Poverty and Gender Impacts of Mobile Money », de décembre 2016, ou étudiées par Pascaline Robinson pour l’American Economic Journal en 2013.
A l’heure actuelle, Mme Gates veut inciter les gouvernements et les organisations multilatérales, via le G7, à accélérer ce mouvement vers une meilleure bancarisation à travers l’élaboration de plateformes technologiques ouvertes, qui favorisent la mise en concurrence. On est aujourd’hui au milieu du gué puisque plus de 62 pays offrent déjà ce type de services qui suscitent 43 millions de transactions quotidiennes, mais qu’il reste encore près de 1,7 milliard de personnes non « bancarisées ».
Alors qu’Oxfam vient de publier une étude montrant que 26 milliardaires détiennent autant d’argent que la moitié de l’humanité, Mme Gates et son époux continuent par ailleurs leur campagne « The Giving Pledge », lancée avec Warren Buffet, pour encourager les dons aux œuvres philanthropiques des personnes possédant plus d’un milliard de dollars de fortune. « On essaie d’en faire une nouvelle norme sociale. L’idée a fait des émules, observe Melinda Gates, puisque nous avons aujourd’hui l’engagement de 187 milliardaires sur la planète aux Etats-Unis, en Chine, en Inde, en Europe », se réjouissant de la longue liste. Même si elle ne contient pour l’instant aucun nom français.