Christophe Galati, le « monsieur poulpe » du jeu vidéo
Christophe Galati, le « monsieur poulpe » du jeu vidéo
Par Alice Raybaud
Le développeur de 24 ans a sorti en octobre 2018 son premier jeu, « Save me Mr Tako ». Depuis, financé par l’Institut français, il s’est envolé pour Kyoto, dans une résidence d’artistes, pour développer son prochain concept.
Christophe Galati, jeune développeur de 24 ans, a remporté une place rémunérée dans une résidence d’artistes de Kyoto, la villa Kujoyama. / Lisa d'Amato / pour M Campus
Soyez à l’affût : d’un bol de boulettes de poulpe peut parfois jaillir l’inspiration qui viendra propulser une carrière. Nous sommes un soir d’hiver, dans un petit restaurant japonais de la rue Sainte-Anne à Paris, et, en dégustant ses takoyaki, Christophe Galati imagine le personnage de son premier jeu : un jeune poulpe, qu’il nomme Tako, se donne pour mission de réconcilier son peuple avec celui des humains et de ramener la paix dans un monde en guerre.
Il n’a alors que 20 ans et entame sa deuxième année dans son école de jeu vidéo. Le jeune développeur se lance un pari audacieux : créer son propre jeu de plate-forme à destination du grand public. De ce travail faramineux de programmation, d’écriture et de design, il ne délègue que la musique, réalisée par son ami compositeur Marc-Antoine Archier. Quatre ans plus tard, en octobre 2018, Save me Mr Tako, financé par l’éditeur américain Nicalis, sort sur la console Nintendo Switch et connaît un vrai succès, notamment sur la scène nippone.
« C’était surréaliste ! Se souvient Christophe Galati. Le lendemain qui a suivi la seule publication de la démo [version de démonstration] de Tako en 2014, beaucoup de streamers [joueurs qui diffusent leurs sessions de jeu] japonais s’en étaient déjà emparés ! » Le jeu se fait peu à peu connaître en France et aux Etats-Unis et son concepteur met un pied décidé dans la sphère – en plein essor – des développeurs indépendants de l’Hexagone.
A 12 ans, déjà ses premiers pas dans la création
A première vue, on pourrait s’étonner du vent de nostalgie qui souffle sur ce premier jeu d’un si jeune créateur. Dans le milieu du gaming, on préfère le terme « rétro », une plongée très en vogue dans les jeux du passé, qui utilise leurs codes et leurs styles. Inspiré de l’univers de la Game Boy des années 1990 et de ses titres les plus célèbres (comme Zelda ou Kirby), Mr Tako était, en 2014, un hommage aux 25 ans de cette console mais aussi un clin d’œil à sa propre enfance.
Le jeu « Save me Mr Tako » reprend les codes de la Game Boy, pour rendre hommage aux 25 ans de la console, fêtés en 2014. / Save me Mr Tako
Christophe Galati grandit dans une famille de cinq enfants. Chose rare, sa mère a eu des triplés. Les jeux vidéo, il tombe dedans dès son plus jeune âge. L’un de ses frères aînés est collectionneur de consoles et de boîtes de jeux, qui s’empilent aux quatre coins de la maison familiale à Valence (Drôme). Parmi ces appareils, la Game Boy de Nintendo fait figure de marqueur pour la « génération Pokémon », la sienne. Précoce, en classe de 6e, Christophe Galati touche déjà à la création de petits jeux de type RPG (pour role playing game), un genre qui s’inspire des jeux de rôles sur table.
« Avec un pote, on a découvert RPG Maker, un logiciel qui nous permettait de créer facilement nos propres jeux, sans avoir à faire de la programmation et du code », explique-t-il. Sans surprise, son premier jeu – « bourré de fautes d’orthographes » et « aux thèmes un peu dark » pour l’adolescent alors dans sa « phase emo » – situe l’intrigue dans l’univers de… Pokémon.
Une fois son bac S en poche, le jeune Valentinois débarque à Paris pour rejoindre, en alternance, l’école privée de jeu vidéo et d’animation Isart Digital. Il s’y distingue rapidement par ses expériences passées mais aussi par sa patte assumée : « Christophe est un rêveur. Il n’était pas venu là pour apprendre des algorithmes mais pour développer un art de raconter des histoires », décrit Rémi Bodin, professeur de code à Isart, qui se souvient de ce garçon arrivé « très introverti et qui a peu à peu gagné en confiance, notamment grâce à Mr Tako ». Le développeur chevronné n’a pas hésité à le coopter pour lui permettre de décrocher un stage, puis un poste dans la boîte où il travaillait lui-même : Persistant Studios.
Billet pour Kyoto
« Le jeu vidéo est pour lui un outil d’expression. Pour preuve, Mr Tako est plus qu’un petit jeu d’arcade : on y découvre un scénario humaniste, qui parle de tolérance », ajoute Douglas Alves, professeur d’histoire et de culture des jeux vidéo à l’Isart, évoquant ce jeune garçon « toujours très sérieux et passionné par l’historique des jeux ». Programmation, design, culture du jeu vidéo et stages dans plusieurs entreprises… Christophe Galati n’en a pas assez à l’Isart pour étancher sa soif d’apprendre. Il écume les game jams parisiennes – des week-ends de compétition autour d’un défi de conception –, où il avance ses pions.
Et même quand il décroche son diplôme et qu’il signe un CDI chez Persistant Studios – qu’il quittera un an et demi plus tard –, il ne s’arrête pas pour autant dans la création de Mr Tako. Pendant encore plusieurs mois, Christophe Galati, remarquable, selon ses proches, par sa « ténacité », ne rentre le soir qu’avec une idée en tête : développer. Ses nuits et ses week-ends y sont totalement consacrés.
« J’ai du faire pas mal de sacrifice. Ma santé, ma vie sociale et ma vie amoureuse en ont pris un coup », souffle le jeune homme qui aspire aujourd’hui à plus « d’équilibre ». Une fois Mr Tako terminé, il se reconnecte au milieu qui lui plaît : celui des créateurs de jeux. Il fait le tour de la France pour des salons et s’envole même pour le Japon, le pays vers lequel se tourne son regard depuis des années, pour le Big Summit à Kyoto. A cette ville Christophe Galati ne dit qu’un au revoir.
Christophe Galati a toujours été passionné par le Japon et sa culture. Il connait les bases du japonais. / Kerstin Bittner/Westend61 / Photononstop / Kerstin Bittner/Westend61 / Photononstop
Quelques mois plus tard, il remporte en effet un prix de l’Institut français, qui lui offre une place rémunérée dans une résidence d’artistes de Kyoto, pour développer son nouveau concept.
Dans la villa Kujoyama, sorte de « grand château perché sur une montagne », qu’il a rejointe au tout début de l’année 2019, le Japon foisonne à nouveau sous ses pieds. Déterminé, il se lance dans les rues de la ville aux mille temples, pour toquer aux portes des studios indépendants, où il espère pouvoir, à terme, se faire une place. Mais le jeune artiste garde en tête un désir, celui de poursuivre le voyage entamé dans l’histoire des vieilles consoles, jusqu’à celles d’aujourd’hui. En grand passionné.