Congé parental européen : un petit pas pour l’Europe sociale
Congé parental européen : un petit pas pour l’Europe sociale
LE MONDE ECONOMIE
Une nouvelle directive du Parlement européen et du Conseil vise à améliorer l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle.
Le président Emmanuel Macron (à gauche) et Jean-Claude Junckers, président de la Commission européenne, devant Parlement de Strasbourg, le 17 avril 2018. / Vincent Kessler / REUTERS
Jeudi 24 janvier, le Parlement européen et le Conseil (les Etats membres) sont parvenus à un accord sur une nouvelle directive, « relative à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée ». Le texte constitue une avancée modeste vers une Europe plus sociale. Sur la base d’une proposition de la Commission datant de 2017, les deux institutions ont validé le principe d’un congé paternité partout dans l’Union, pouvant être pris à la naissance d’un enfant et devant durer « au moins dix jours ». Il devra être rémunéré, au niveau du congé maladie dans l’Etat membre.
Le projet de directive confirme aussi un congé parental d’au moins quatre mois, dont deux non transférables d’un parent à l’autre, pouvant être pris jusqu’aux 12 ans de l’enfant. Il devra lui aussi être rémunéré « à un niveau adéquat », à déterminer dans chaque Etat. Enfin, la directive introduit un « congé aidant » d’au moins cinq jours par an et par travailleur, pour s’occuper d’un proche sans obligation de rémunération en revanche.
Ces dispositions s’appliqueront aux travailleurs disposant d’un « contrat de travail » ou d’une « relation de travail », mais pas aux indépendants.
Congé parental : ce que font les autres pays
Peu de pays ont réellement expérimenté un revenu parental en tant que tel ; la plupart indemnisent le congé lié à une naissance (congé maternité et/ou de paternité) et aident, plus ou moins généreusement, à la prise en charge d’un enfant en bas âge (congé parental d’éducation). Sept pays de l’Union ne rémunèrent pas du tout le congé parental : le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Irlande, la Grèce, les Pays-Bas et Chypre.
La Suède est le pays qui rémunère le mieux les parents : le congé parental ouvre droit à un revenu de remplacement, correspondant à 80 % du salaire antérieur, pendant les treize premiers mois (les trois derniers mois étant indemnisés environ 500 euros chaque). Le modèle suédois est cohérent avec cette notion de revenu : ce dernier est imposable et, en contrepartie, tous les droits sociaux du bénéficiaire sont maintenus. Il continue à cotiser pour sa retraite, la période de congé est comptabilisée dans le calcul des avantages liés à l’ancienneté et il bénéficie de la garantie du retour à son poste.
Si le parent au foyer tombe malade, il reçoit une indemnité journalière et ses jours de maladie ne sont pas comptabilisés dans le congé parental. Il faut toutefois avoir travaillé au moins huit mois avant l’arrêt. « Les parents ne satisfaisant pas à ces conditions touchent, pour leur part, une indemnité forfaitaire d’environ 18 euros par jour. Les modalités de ce congé incitent donc assez fortement à s’intégrer sur le marché du travail avant d’avoir des enfants », explique la docteure en sociologie Nathalie Morel. De plus, la Suède a mis en place des mesures incitatives pour pousser les hommes à davantage utiliser le congé : chaque parent est obligé de prendre au moins trois mois pour bénéficier du reste du congé parental.
Même logique en Allemagne : si les deux parents prennent le congé (deux tiers du salaire, plafonné à 1 800 euros par mois), ils ont droit à deux mois supplémentaires. Une « prime aux fourneaux » de 150 euros mensuels avait, en outre, été initiée en 2013 par les conservateurs pour relancer la natalité, mais elle a été invalidée en 2015 par la Cour constitutionnelle qui a jugé que le gouvernement fédéral avait empiété sur les prérogatives des Etats régionaux.
L’Islande a le modèle le plus égalitaire avec un congé parental de neuf mois, dont un tiers est réservé à la mère, un tiers au père et un tiers partageable entre les deux, avant les dix-huit mois de l’enfant, chaque partie étant perdue si elle n’est pas prise par son destinataire. Il est rémunéré à 80 % pour tout salaire en dessous de 1 260 euros par mois et 75 % pour les salaires supérieurs, avec un plafonnement à 1 890 euros mensuel.
A l’opposé d’une conception sociale du revenu parental, et dans une proportion probablement anecdotique, une version néocapitaliste aurait déjà été expérimentée dans la sphère privée : à New York, certaines femmes au foyer toucheraient un « bonus d’épouse » au titre de leur bonne gestion du budget du foyer ou de la qualité de l’éducation apportée aux enfants et de la capacité de ces derniers à intégrer de bonnes écoles. Les Etats-Unis sont actuellement le seul pays de l’OCDE à ne même pas financer un congé maternité.
Proposition revue à la baisse
L’objectif de la Commission était d’améliorer la mise en œuvre du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes au travail. Intention louable, mais sa proposition a été sérieusement revue à la baisse, surtout concernant le congé parental. L’institution recommandait que la période non transférable d’un parent à l’autre soit d’au moins quatre mois. Elle indiquait aussi que ce congé parental, ainsi que le « congé aidant » devaient être rémunérés à un niveau « équivalant au moins à ce que le travailleur concerné recevrait en cas de congé maladie ».
Le Parlement européen insistait lui aussi sur des niveaux de rémunération conséquents, partant du constat que lorsque ces congés sont mal rémunérés, ce sont en priorité les femmes qui mettent entre parenthèses leur carrière professionnelle pour les prendre. Mais au Conseil, près de la moitié des Etats membres, dont la France et l’Allemagne, se sont opposés à des ambitions jugées trop coûteuses.
Emmanuel Macron avait émis des doutes en plein hémicycle européen, lors d’un discours à Strasbourg le 17 avril 2018 : le congé parental ? « J’en approuve les principes, mais c’est une belle idée qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable », avait déclaré le président français. Sa ministre du travail, Muriel Pénicaud, ajoutait à l’époque : « La France est absolument pour une directive sur le congé parental ». Mais « ce n’est pas à Bruxelles que l’on doit décider dans le détail comment il doit fonctionner pays par pays ».
Dans l’Hexagone, le congé parental est rémunéré bien en deçà du niveau des indemnisations maladie (moins de 400 euros par mois, contre une moyenne de 950 euros pour les prestations maladie). Et un nombre infime de pères français en profitent : 4 % seulement, selon une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) datant de 2016.
Jeudi, l’eurodéputée Verte Karima Delli, membre de la commission des affaires sociales à Strasbourg, a salué comme « un début » le congé aidant, « mais il faut aller plus loin. Dans la plupart des pays de l’Union européenne, les femmes continuent de porter la majeure partie du fardeau ». L’élue a aussi regretté « le jeu mesquin de la France qui s’est opposée à une meilleure rémunération des congés parentaux ».
Même son de cloche chez Guillaume Balas, eurodéputé membre de Génération.s : « Si nous n’obtenons pas des droits sociaux harmonisés pour tous les Européens, alors le “Triple A” social promu par Jean-Claude Juncker [président de la Commission européenne], soutenu par Angela Merkel [la chancelière allemande] et Emmanuel Macron est une authentique imposture. »
Même si ce nouveau texte ne garantit qu’un socle de droits a minima, le bilan « social » de la commission Juncker n’est pas si médiocre, au regard du peu de prérogatives dont elle dispose en la matière : elle est surtout parvenue à réviser la directive travail détaché. La commission Barroso, elle, n’avait même pas réussi à faire adopter un congé maternité européen.