Site Volkswagen de Wolfsburg, en Allemagne,en mars 2015. Le constructeur automobile réalise 40 % de son chiffre d’affaires en Chine. / TOBIAS SCHWARZ / AFP

Les nuages sombres s’accumulent sur l’économie allemande. Dix jours après la confirmation par Destatis d’un net ralentissement conjoncturel au second semestre 2018, aucune amélioration ne semble en vue en 2019. Selon la presse allemande, le gouvernement devrait abaisser très fortement ses prévisions de croissance pour l’année en cours : il ne table plus que sur une progression du produit intérieur brut (PIB) de 1 % en 2019, contre 1,8 % anticipé jusqu’ici dans le rapport d’automne. L’analyse d’hiver sera officiellement présentée le 30 janvier par le ministère de l’économie.

Selon le quotidien économique Handelsblatt, qui cite des sources gouvernementales, Berlin s’inquiète avant tout des conséquences du ralentissement économique mondial sur le « made in Germany », ainsi que des effets d’un Brexit, sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, sans accord. Le gouvernement exclut une récession et prévoit une croissance de 1,6 % en 2020. En 2018, l’Allemagne a subi un coup de froid, qui a ramené sa croissance à 1,5 %, après deux années d’euphorie, où son PIB avait progressé de 2,2 %.

Tout porte à croire que ce ralentissement, d’abord présenté comme passager par le ministre de l’économie, Peter Altmaier, est en fait une tendance lourde. Les nouvelles prévisions gouvernementales sont au diapason avec deux autres indicateurs récents. Lundi 21 janvier, le Fonds monétaire international (FMI) a ramené sa prévision de croissance pour l’Allemagne à 1,3 %, contre 1,7 % anticipé auparavant. Et vendredi matin, l’indice Ifo du moral des entreprises a brutalement décroché, pour atteindre son niveau le plus faible depuis 2016. « Les attentes se sont massivement assombries. Elles sont même légèrement pessimistes, pour la première fois depuis décembre 2012. L’économie allemande ralentit », a commenté le chef de l’IFO, l’institut économique de Munich, Clemens Fuest.

« Le Royaume-Uni est le premier marché d’exportation des constructeurs allemands, rappelle la fédération automobile allemande VDA

Une des causes les plus évidentes de ce revirement tient aux incertitudes liées au Brexit. Avec le rejet de l’accord européen par le Parlement britannique, le scénario du « no deal » est devenu une perspective crédible… et jugée terrifiante outre-Rhin. Pour l’industrie allemande, toute désorganisation de la production et des livraisons coûte cher. Mi-janvier, la fédération des industriels (BDI) avait aussi précisé ses projections de croissance pour 2019 : 1,5 %, comme en 2018… à moins d’un « Brexit dur », qui réduirait la progression du PIB à 1 % « dans le meilleur des cas », a déclaré le président de l’organisation, Dieter Kempf, le 17 janvier.

Selon ce dirigeant patronal, « un Brexit désorganisé se rapproche dangereusement. Les entreprises actuellement ont les yeux rivés vers l’abîme. » C’est le cas des constructeurs automobiles et de leurs sous-traitants. « Le Royaume-Uni est le premier marché d’exportation des constructeurs allemands, rappelle la fédération automobile allemande VDA. En 2017, 769 000 véhicules y ont été vendus. Notre premier marché est la Chine, mais les véhicules que nous y vendons sont essentiellement fabriqués sur place. » Quant aux sous-traitants, beaucoup fabriquent au Royaume-Uni des pièces qui entrent dans la composition de véhicules assemblés sur le continent.

Perspectives préoccupantes

Bosch, premier sous-traitant automobile de la planète, précise au Monde que le Royaume-Uni est son premier marché après l’Allemagne et qu’il y emploie 5 000 salariés. Sa task force Brexit, qui planche depuis plusieurs mois sur les différents scénarios de sortie, table sur « une nette hausse des coûts pour l’entreprise – plusieurs dizaines de millions d’euros en cas de réintroduction des droits de douane », explique une source au sein du groupe. Selon le BDI, tous les industriels allemands se préparent actuellement au « no deal », et certains ont même prévu d’interrompre leur production au mois d’avril. En raison de cette incertitude, M. Kempf a refusé de livrer ses prévisions de croissance pour 2020. « Ce serait lire dans le marc de café », a-t-il estimé, pressant Berlin de stimuler les investissements plutôt que la redistribution, et de baisser les impôts sur les sociétés.

Un autre facteur d’instabilité est la Chine. Longtemps considéré par les économistes comme un marché stable pour l’Allemagne, l’empire du Milieu fait l’objet d’une préoccupation inédite. Avec 6,6 % de croissance, la conjoncture chinoise est tombée à son plus bas niveau depuis plus d’un quart de siècle, a-t-on appris lundi de source gouvernementale. « Le conflit commercial se traduit actuellement par une hausse de l’incertitude, analyse Max Zenglein, de l’Institut de recherche sur la Chine Merics, qui souligne les effets négatifs des baisses d’exportations et du gel des projets d’investissements sur la conjoncture. Les choses vont devenir vraiment sérieuses au mois de mars, si aucun accord [entre les Etats-Unis et la Chine] n’est trouvé et que de nouvelles hausses de droits de douane entrent en vigueur. »

Pour l’industrie allemande, ultra-dépendante du marché chinois, ces perspectives sont préoccupantes. Le fabricant de puces électroniques allemand Infineon gagne plus de 1 euro sur 3 dans le pays. Quant à Volkswagen, première entreprise allemande, elle réalise 40 % de son chiffre d’affaires dans l’empire du Milieu.