« Je marche sur la glace », reconnaît Emmanuel Macron à propos de la crise des « gilets jaunes »
« Je marche sur la glace », reconnaît Emmanuel Macron à propos de la crise des « gilets jaunes »
Par Virginie Malingre (Le Caire, envoyée spéciale), Olivier Faye
En déplacement en Egypte, le chef de l’Etat promet de tirer « des conséquences profondes » du grand débat pour répondre aux tensions.
Le Parti communiste pratiquait en son temps le soutien sans participation. C’est à cet exercice que s’est livré le gouvernement face à la Marche républicaine des libertés, organisée, dimanche 27 janvier, dans les rues de Paris par le collectif des « foulards rouges ». Certes, une poignée de députés et de sénateurs La République en marche (LRM) étaient venus grossir les rangs des 10 500 manifestants (selon la Préfecture de police), qui appelaient à « défendre la démocratie et les institutions » face aux violences qui s’expriment dans le mouvement des « gilets jaunes ».
Certes, le secrétaire d’Etat Gabriel Attal s’est félicité sur Twitter des « belles images de Français venus dire leur attachement à la République », de cette « majorité – de moins en moins silencieuse – [qui] défend les institutions, soutient les forces de l’ordre et la liberté de la presse ». Mais l’exécutif comptait rester le plus discret possible pour ne pas donner le sentiment de choisir une France contre une autre. Pour que les regards ne se détournent pas de son grand débat national.
Car, depuis l’Egypte, Emmanuel Macron l’a reconnu sans ambages. « Je marche sur la glace », a confié, dimanche, le chef de l’Etat à propos de la situation sociale. « Partout dans nos démocraties, la tension des peuples qui monte est une insatisfaction sociale, économique, morale et démocratique », a-t-il souligné en marge de sa visite officielle de trois jours.
Face à cette vague de mécontentement qu’il qualifie de « raison de l’histoire », le grand débat national, qui connaît des débuts encourageants avec près de 300 000 contributions en ligne, ne serait donc que peu de chose. Mais M. Macron le prend pour autant « très au sérieux ». « Je ne sais pas aujourd’hui ce qu’il donnera. Ce que je sais, c’est que j’en tirerai des conséquences profondes, a-t-il assuré. Je le vois comme une nouvelle étape de la transformation du pays. »
Soucieux de ne pas être pris de court, comme lorsqu’il se trouvait en Argentine au moment de l’acte III du mouvement, le 1er décembre 2018, le locataire de l’Elysée avait un temps envisagé de reporter ce déplacement égyptien – il attendait aussi d’avoir des assurances de son homologue Abdel Fattah Al-Sissi sur la question des droits de l’homme avant de confirmer sa venue. Mais la légère baisse de la mobilisation lors de l’acte XI, samedi, avec 69 000 personnes qui ont manifesté sur l’ensemble du territoire, a pu rassurer le pouvoir. « Il y a une baisse de pression, mais il faut rester vigilants », estime-t-on à Matignon.
« Il y a une décrue numérique mais elle n’est pas immense, il y a quand même une mobilisation, souligne un proche du président de la République. Notre priorité, notre responsabilité, c’est de faire réussir le grand débat et de ne pas rentrer dans des initiatives qui peuvent donner la perception d’un camp monté contre un autre. »
C’est dans cet état d’esprit qu’Edouard Philippe a plongé à son tour dans l’arène en débarquant de manière impromptue à Sartrouville (Yvelines), vendredi, à un « débat bien français » et « passionné », de son propre aveu. L’occasion pour le premier ministre de manifester son opposition au RIC, le référendum d’initiative citoyenne, dont la mise en place est réclamée par de nombreux « gilets jaunes ».
« Le RIC, ça me hérisse », a assumé M. Philippe. Selon son entourage, le chef du gouvernement devrait multiplier ce genre d’incursions dans les jours à venir. « Des petits, des grands, à la ville, à la campagne, avec ou sans la presse », explique un proche. Emmanuel Macron doit, lui, effectuer un nouveau déplacement dans ce cadre, jeudi, avant de recevoir à l’Elysée, vendredi, les maires d’outre-mer pour entendre leurs doléances.
« La vraie crédibilité du grand débat sera dans les conclusions que Macron va en tirer, prévient un interlocuteur régulier de l’exécutif. Il faudra incarner les choses, soit avec un changement de premier ministre, qui porterait quatre ou cinq mesures fortes, soit avec un ministre d’Etat chargé de l’exécution du grand débat. » Des spéculations prématurées, assure-t-on à l’Elysée. Les ministres Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon, chargés de l’animation du grand débat national, devaient rencontrer en début de semaine les cinq garants pour évoquer avec eux les modalités de la restitution.
« Laissons les choses se dérouler, il faut s’habituer à ne pas avoir les solutions tout de suite, estime un proche du chef de l’Etat. Nous sommes au tout début des choses. » Ce qu’Emmanuel Macron a dit à sa manière depuis Le Caire : « Il faut répondre à quelque chose à quoi nous n’avons pas répondu pendant dix-huit mois. Si j’avais la réponse, je l’aurais déjà sortie. »
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