Les locaux de France Bleu Isère, lundi 28 janvier 2019. / "Le Monde"

C’est le genre de spécificité locale dont une ville se passerait bien. A Grenoble, les incendies criminels choquent mais surprennent de moins en moins. Le dernier en date, celui des locaux de France Bleu Isère, en plein centre-ville, dans la nuit de dimanche à lundi 28 janvier, a suscité une forte émotion et un grand élan de solidarité.

Il suit pourtant nombre d’actes du même type, notamment l’incendie d’une gendarmerie à Meylan, commune proche de Grenoble, en septembre 2017 suivi, un mois plus tard, de celui de la casemate, centre de culture scientifique de la métropole. « Douze faits de ce type ont eu lieu depuis le 20 mars 2017 », précise Eric Vaillant, le procureur qui a pris ses fonctions le 1er janvier 2019 au tribunal de grande instance de Grenoble. Il rappelle les principaux incidents, mais également d’autres, passés plus inaperçus : destruction par le feu de voitures du CCAS, de la Métropole ou de l’entreprise Decaux… « C’est curieux et inquiétant », commente-t-il.

« A cela, on remédie »

Chaque fois, ces actes sont revendiqués sur des sites anarchistes, notamment Indymedia, plate-forme de publication libre à tendance libertaire d’origine américaine, qui possède en France des antennes à Nantes et à Grenoble.

Concernant l’incendie des locaux de France Bleu Isère, un texte, publié mardi soir par deux blogs d’ultragauche, semble applaudir l’acte sans tout à fait le revendiquer. « Beaucoup font couler l’encre à propos des médias pour les critiquer, est-il écrit, peu font couler l’essence dans leur locaux [sic] pour les incendier. A cela, on remédie. Dans les bureaux des radios dans le centre-ville, lundi. Dans la tour hertzienne en périphérie, cette nuit. »

Le ou les auteurs du texte – sourcé Indymedia Nantes – font ainsi le lien entre la destruction des studios de France Bleu et les dégradations par le feu, mardi matin, d’une tour hertzienne située à une vingtaine de kilomètres de Grenoble, à Haute-Jarrie.

« Ce mouvement touche plusieurs villes, mais Grenoble est sans doute la plus concernée. »

« Pour moi, il ne s’agit pas d’une revendication, nuance le procureur Eric Vaillant. On sent bien que ceux qui écrivent soutiennent l’action, mais un texte de revendications donne en général des détails, ce qui n’est pas le cas ici. » Le parquet n’exclut cependant pas que cet incendie criminel déclenché par des hydrocarbures, et pour lequel une enquête de flagrance est en cours, soit bien le fait d’un groupuscule d’ultragauche. Car cette mouvance est bel et bien singulièrement active dans la région. « C’est très particulier, reconnaît le nouveau procureur. Ce mouvement touche plusieurs villes, mais Grenoble est sans doute la plus concernée. »

Incendie dans une gendarmerie de grnoble, le 21 septembre 2017. / JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Absence d’amateurisme

Difficile, pourtant, de cerner les contours de la mouvance anarchiste locale, d’autant plus que les enquêtes concernant les précédents incendies n’ont encore donné lieu à aucune arrestation. Les groupes revendiquant les diverses actions et leurs revendications sont très disparates, hormis une lutte contre toute forme de domination.

Concernant l’incendie de la gendarmerie de Meylan en 2017, un groupe se présentant comme un collectif de femmes libertaires a affirmé vouloir « détruire le genre », exprimer une « revanche contre la société » et « ne pas rester dans la position de victimes ». Les incendiaires d’un entrepôt et de véhicules de la société Eiffage, le 8 octobre 2018 à Saint-Martin-d’Hères (commune limitrophe de Grenoble), ont, eux, justifié leur action, revendiquée sur le site Indymedia Nantes, par le fait que « cette entreprise occupe une fonction fondamentale dans notre société carcérale » en fournissant « la structure matérielle nécessaire à l’industrie de la punition ».

Les destructions par le feu ne se limitent d’ailleurs pas à l’Isère mais irriguent les départements voisins : la Drôme, l’Ardèche… Fin septembre 2018, un abattoir a été incendié dans l’Ain, au nom, cette fois, de l’antispécisme, « dans une optique de conflictualité permanente avec toutes les autorités ».

Un point commun relie sans conteste les auteurs de tous ces actes : une absence d’amateurisme qui rend les enquêtes difficiles. Après les événements de 2017, le procureur de l’époque, Jean-Yves Coquillat, avait évoqué dans Libération des « actions réfléchies, bien construites, qui ne sont pas de l’ordre de l’incendiaire ordinaire ». La destruction des locaux de France Bleu Isère semble du même ordre : l’enquête promet d’être longue.