Le gouvernement a tenu à faire une surprise à la communauté scientifique lors du lancement, vendredi 1er février, des cérémonies des 80 ans de la naissance du plus important organisme de recherche français, le CNRS (environ 3,5 milliards d’euros de budget et 31 000 employés dont plus de 11 000 chercheurs).

Le premier ministre, Edouard Philippe, s’est même invité en dernière minute à la Mutualité à cette convention des directeurs de laboratoires du CNRS pour annoncer la satisfaction d’une très ancienne revendication : une loi de programmation pluriannuelle. Cet instrument, qui existe pour la défense, vise à planifier sur au moins trois ans les dépenses et les ressources humaines dans le domaine de la recherche, par définition une activité de long terme, afin notamment d’éviter les à-coups budgétaires. « Par ce type de loi, en donnant de la visibilité aux acteurs, on crée un cadre de confiance », estime la députée LRM de l’Essonne, Amélie de Montchalin, coauteur en juillet 2018 d’un rapport sur l’évaluation du financement public de la recherche dans les universités, qui recommandait une telle mesure.

« Après les augmentations des deux dernières années, les actions financées par le plan investissement d’avenir… Il est utile de fixer un cadre pluriannuel. C’est aussi l’occasion d’engager des transformations pour rendre plus efficace notre système de recherche », indiquait Matignon en amont de cette annonce.

La future loi, prévue pour être discutée en 2020 pour une application en 2021, reposera sur trois piliers : le financement, l’attractivité des carrières et la compétitivité, avec notamment les recherches partenariales publiques-privées. Trois groupes de travail d’une douzaine de personnes seront chargés, jusqu’en juillet, de la réflexion en amont de la rédaction de cette loi. Le gouvernement est donc resté flou sur les trajectoires quantitatives souhaitées pour les moyens et les emplois.

« Une loi pluriannuelle est une bonne idée que nous demandons depuis longtemps. Mais il faut que ce soit d’une ampleur différente que celle qui consiste simplement à tenir à flot la recherche publique », rappelle Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS-FSU, principal syndicat de chercheurs, qui souligne aussi le « décrochage » de la recherche française (au septième rang mondial en termes de publications scientifiques). Selon ce syndicat, il faudrait 3 milliards supplémentaires par an pendant dix ans afin d’espérer atteindre 3 % du PIB pour les dépenses de recherche et développement (tant publiques que privées). Le budget 2019 du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche est de 25,1 milliards d’euros, en hausse de 549 millions par rapport à 2018.

Climat tendu

« C’est un bon signe, mais il faudra être vigilant dans les détails concernant les contreparties attendues à cette annonce », estime Patrick Lemaire, président de la Société française de biologie du développement. Parmi ces « détails », l’aide fiscale de 6 milliards d’euros aux entreprises faisant de la recherche (le crédit impôt recherche) sera-t-elle réformée ? Quelle sera la place des chercheurs dans la concertation ? La recherche d’efficacité s’accompagnera-t-elle de nouvelles contraintes ?

L’annonce tombe dans un climat tendu depuis que le CNRS a décidé de la diminution de 50 places au concours de recrutement annuel, le nombre de postes passant de 300 à 250. A la Mutualité, certains participants arboraient un badge de protestation « Mobilisation pour l’emploi scientifique et la recherche publique » afin de signifier, « leur vive inquiétude quant à l’accélération annoncée de la diminution de l’emploi scientifique et à la poursuite de l’affaiblissement de la recherche publique ». Un collectif de chercheurs, Rogue ESR, a recueilli plus de 11 000 signatures demandant le rétablissement de ces postes, dont il chiffre la dépense à seulement 5 millions d’euros annuels. « Personne ne peut croire qu’il est impossible de trouver ces moyens », estime Olivier Berné, astrophysicien, membre de Rogue ESR.