Nicolas Détrie fait entrer la ville collaborative à l’université
Nicolas Détrie fait entrer la ville collaborative à l’université
Par Léa Iribarnegaray
Le fondateur de Yes We Camp, collectif à l’origine des Grands Voisins, lance à l’université Paris-Est un diplôme sur les « espaces communs » de la ville. Ce trentenaire diplômé de l’Essec interviendra mardi 5 février à l’événement O21 du « Monde » à Marseille.
Lycéens, étudiants, professeurs, parents, jeunes diplômés… « Le Monde » vous invite aux événements O21 mardi 5 février 2019 à Marseille, puis à Nancy, Paris et Nantes. Des conférences, des ateliers et des rencontres inspirantes pour trouver sa voie. Plus d’informations ici.
Cyrus Cornut / Yes We Camp
Il se compare à ces paysans qui, avant tout le monde, se lançaient dans l’agriculture bio à la fin des années 1970. « C’étaient des militants, des audacieux, des poètes, des pragmatiques qui pratiquaient cette agriculture », raconte Nicolas Détrie, qui n’était pas né à l’époque. Son combat quotidien n’est pas le bio ou les circuits courts – une évidence –, mais la transformation de la ville. Comment la rendre plus collective, plus durable, plus solidaire.
Avec la structure Yes We Camp, qu’il a cofondée, ce trentenaire est notamment à l’origine du tiers-lieux parisien des Grands Voisins, un projet de transformation temporaire du site de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul. A Paris, Marseille ou Nanterre, le collectif déploie d’autres projets temporaires dans des espaces vacants. Bars, restaurants, galeries, entreprises, associations, festivals peuvent élire domicile dans ces lieux d’un genre nouveau.
En ce mois de février, Yes We Camp lance un diplôme universitaire (DU) inédit, spécialisé en « espaces communs », à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée. Cette formation, conçue en partenariat avec le collectif d’entrepreneurs Ancoats et l’agence Co-Designe It ! débutera cet été. Les participants pourront, via des sessions immersives, partager leurs pratiques et découvrir des expériences urbaines, dans le but d’« encourager l’essaimage des lieux partagés ». « Petit à petit on découvre de multiples alternatives pour concevoir un immeuble, le financer, l’habiter, pour gérer les espaces publics », explique Nicolas Détrie, qui veut créer, via ce diplôme, une communauté d’acteurs impliqués dans cette vision de la ville.
Une idée folle de « camping écolo et artistique »
Une forme d’aboutissement ? Et pourtant, sa structure n’est pas veille. Yes We Camp s’est lancé en 2013 autour d’une idée folle de « camping écolo et artistique », l’année où Marseille était capitale européenne de la culture. Installée à l’Estaque le temps d’un été, la ville éphémère de Yes We Camp réunit alors hébergements, résidences d’artistes, ateliers sportifs et événements festifs. Avec, pour totem, une merguez géante.
« J’ai créé l’association, déposé les statuts, embauché les bénévoles… Tout le monde m’a fait confiance mais je n’étais pas le chef non plus. Cette forme de hiérarchie invisible et de solidarité forte est restée. »
Nicolas Detrie / Yes We Camp
Nettoyer les poubelles, vider les toilettes sèches : sur le camping de l’Estaque, les tâches quotidiennes s’organisent de 6 heures à 3 heures du matin. « Celui qui a un bac + 7 n’a pas plus de mérite ni d’utilité que celui qui n’a pas fait d’études. Ce qui compte, c’est de remplir sa mission comme on s’est engagé à le faire sur le tableau noir », déclare le désormais directeur de Yes We Camp. D’ailleurs, aujourd’hui, chez Yes We Camp, tout le monde gagne la même chose : environ 1 500 € pour la soixantaine de salariés actuels, et 1 900 € pour celui qui est le chef malgré tout. « On accepte des salaires très bas mais on reste très haut dans le bien vivre, bien manger, bien travailler. » La transversalité des savoirs fait aussi partie du « pack campeur » : en y entrant, on sait que l’on va apprendre différents métiers, de la communication au budget.
Apprendre via une multitude d’expériences
Apprendre via une multitude d’expériences : voilà le credo de ce Parisien, qui a fait du cirque, du soutien scolaire dans les cités, travaillé comme moniteur de voile, fait un tour de l’Albanie en kayak, passé une année à monter des projets dans des favelas au Brésil… Pendant ses deux années de prépa à Louis Le Grand, à Paris, il était aussi président du BDE. Admis à HEC, il opte finalement pour l’ESSEC – car l’école lui semblait davantage « ancrée dans la vie réelle » avec son campus installé à Cergy-Pontoise. Il y a suivi son cursus en apprentissage, avec un contrat à la SNCF.
Lorsqu’il rentre en France après une année au Brésil, il préfère Marseille à Paris, imaginant que la ville ressemble davantage à Rio. Il y trouve du travail dans le secteur du logement social, et fait l’expérience de diverses frustrations. « Pour moi, ces machines ne sont pas réactives. J’ai besoin que ça avance ». « Chanceux », Nicolas Détrie prend à 25 ans la casquette de directeur de l’association Les Ateliers de Cergy et organise, aux quatre coins du globe, pendant cinq ans, des ateliers sur les stratégies urbaines. Il voyage en Inde, au Mexique, en Chine, au Sénégal, en Thaïlande, au Mali… « Et mon épouse est rwandaise », précise ce père de famille. De ces expériences découlent ses influences :
« L’architecte Patrick Bouchain, bien sûr. Mais pour moi, il y a aussi les quartiers informels, les townships et les favelas, où le commerce de rue a une place structurante. »
Les projets de Yes We Camp prennent toujours une forme hybride. « Participatif - Public - Privé. C’est notre PPP à nous », s’amuse Nicolas Détrie, dont la structure prévoit cinq millions d’euros de chiffre d’affaires pour 2019. Participatif, parce que ces projets doivent être réalisés collectivement avec une majorité de bénévoles. Public, car ouverts à tous. Et privé, pour laisser place à de l’économie marchande : « L’épicier, le quincaillier, le bistrotier sont des personnages importants du lien social, loin des franchises », explique le jeune directeur.
« Le monde d’aujourd’hui excelle à fabriquer de la distance, on en oublie l’intelligence collective », poursuit-il. Aux Grands Voisins, loin d’imaginer que le hipster devienne le meilleur ami du SDF, on fait en sorte que la simple présence de l’un profite à l’autre. A mi-chemin entre l’espace festif et l’accueil de jour, on réinvente le lien social en mettant de l’huile dans les rouages humains. A l’instar des services que l’on pourrait se rendre au sein d’une colocation, mais à l’échelle d’une ville ou d’un quartier.