Ce que contient la proposition de loi « anticasseurs »
Ce que contient la proposition de loi « anticasseurs »
Par Manon Rescan
Le vote solennel sur le texte, que la gauche juge liberticide, doit avoir lieu mardi après-midi à l’Assemblée nationale. Plusieurs députés LRM ont annoncé qu’ils s’abstiendraient.
La rapporteuse de la loi « anticasseurs », Alice Thourot, prend la parole à l’Assemblée nationale, le 30 janvier. / JULIEN MUGUET POUR " LE MONDE"
Interdictions administratives de manifester, sanctions pour tout manifestant qui dissimule son visage, fichage des « casseurs »… Mardi 5 février, les députés doivent adopter en première lecture la proposition de loi « anticasseurs » destinée à prévenir les violences lors des manifestations. Ce texte, appuyé par le gouvernement en réponse aux violences perpétrées en marge de la mobilisation des « gilets jaunes », est vivement contesté par la gauche, qui le juge liberticide et attentatoire à la liberté de manifester. Quelques députés de La République en marche (LRM) ont également dit leurs réserves et annoncé qu’ils s’abstiendraient.
La version qui sera adoptée mardi n’est toutefois pas définitive. La proposition de loi « visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations » devra retourner au Sénat début mars. Les sénateurs Les Républicains étant à l’origine du texte, qui a été largement réécrit par les députés, devraient avoir à cœur de rétablir certaines des dispositions qu’ils avaient adoptées. La version finale ne sera pas connue avant plusieurs mois. Les mesures détaillées ci-dessous pourront donc encore évoluer.
Interdictions administratives de manifester
Les préfets pourront prononcer des interdictions de manifester à l’encontre de certaines personnes, ce que, jusque-là, seul le juge judiciaire pouvait faire, dans le cadre d’une condamnation. C’est l’une des dispositions les plus contestées du texte. Selon la version adoptée par les députés, pourra être interdite de manifester toute personne qui « constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » en raison de « ses agissements » lors de manifestations « ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi que des dommages importants aux biens » ou de « la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations », même si elle n’a pas été condamnée par cet acte. Les préfets pourront, selon les cas, interdire les personnes concernées de manifester sur l’ensemble du territoire et pour une durée allant jusqu’à un mois. Elles en seront averties et les députés ont apporté des garanties pour qu’elles puissent contester cette décision devant un juge avant sa date d’entrée en vigueur.
Pas de périmètre de protection, mais des fouilles lors des manifestations
Des officiers de police judiciaire pourront fouiller les bagages et véhicules à proximité d’une manifestation, et ce, dans le but de chercher des armes ou des armes par destination. Aucun contrôle d’identité ne pourra avoir lieu dans ce cadre, à la demande des députés LRM. Cette décision ne sera en outre pas du ressort du préfet comme le voulait le Sénat, mais le fait d’une réquisition judiciaire. Dans leur version, les sénateurs allaient plus loin, introduisant la notion de périmètre de protection autour d’une manifestation ; cela n’a pas été retenu par les députés.
Les interdits de manifester fichés
Le texte sénatorial prévoyait la création d’un fichier des « casseurs ». Les députés ont rejeté cette option, mais sans renoncer au fichage. Les personnes interdites de manifester feront ainsi l’objet de fiches ajoutées au fichier des personnes recherchées (FPR). Celles-ci seront « effacées » dès lors que l’interdiction n’aura plus cours, a assuré le ministre de l’intérieur. Néanmoins, un décret devra compléter cette mesure pour s’assurer que les personnes visées par une interdiction administrative de manifester seront bien fichées.
Lourdes sanctions contre les manifestants masqués
C’était l’une des principales déclarations du premier ministre, Edouard Philippe, lorsqu’il a annoncé, le 7 janvier, la volonté du gouvernement de légiférer contre les casseurs : « Ceux qui arrivent cagoulés, aujourd’hui, c’est une contravention. Demain, ça doit être un délit. » Le nouveau texte sanctionne donc d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de « dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime ».
Les personnes cagoulées pourront ainsi être interpellées et placées en garde à vue et devront par la suite prouver qu’elles avaient une bonne raison d’être masquées. « Se présenter masqué est a priori interdit », a résumé la députée (MoDem) du Puy-de-Dôme Laurence Vichnievsky à l’origine de l’écriture de cette version du texte, adoptée contre l’avis de la rapporteuse. En commission, les députés LRM avaient préféré circonscrire ce délit aux personnes masquées dans l’intention de « participer ou d’être en mesure de participer à la commission de ces troubles sans pouvoir être identifiée[s] », une rédaction considérée comme inapplicable par nombre d’élus.
« Casseurs payeurs »
Aujourd’hui, l’Etat rembourse les personnes qui ont subi des dégradations lors de manifestation. La proposition de loi prévoit qu’il pourra se retourner contre les auteurs des faits pour qu’ils le remboursent à leur tour, même s’ils n’ont pas été condamnés par la justice pénale pour ces actes. Des preuves de leur implication devront toutefois être apportées pour justifier le lancement de la procédure de remboursement. Les sénateurs voulaient, eux, créer une responsabilité collective de l’ensemble des personnes ayant participé à « tout attroupement ou rassemblement » ayant donné lieu à une condamnation pénale, que les personnes aient commis des dommages ou non. Cela a été rejeté. A l’Assemblée, certains députés craignent toutefois que le texte ne corresponde pas au droit et à la jurisprudence actuels.