« Chien » : une vie de chien, au sens propre
« Chien » : une vie de chien, au sens propre
Par Jacques Mandelbaum
Samuel Benchetrit conte l’histoire abracadabrante d’un homme réduit à la condition canine.
Chez Samuel Benchetrit, écrivain et cinéaste, la comédie grince des dents depuis toujours. Commencée en 2003 avec Janis et John, l’aventure du 7e art se poursuit aujourd’hui avec un sixième long-métrage, Chien (adapté, comme le précédent, Asphalte en 2015, d’un de ses romans), qui ne déroge ni à cette règle ni au style très singulier, très bizarre qui la décline. Un esprit de cocasserie triste, de dépression trash, d’absurde métaphysique y parfume des semi-paumés en quête de pas grand-chose, reclus dans des trous léchés par la mise en scène. Un genre de cinéma possédant suffisamment de charme et d’intelligence pour intéresser, et donc séduire.
Voyez l’histoire abracadabrante que nous conte Chien. Un type, qui s’appelle Jacques Blanchot (Vincent Macaigne), preuve liminaire que la vie n’est pas bien partie pour lui (qui s’appelle Jacques aujourd’hui ? Qui se rappelle Blanchot ?), perd du jour au lendemain tout ce qui constituait sa raison de vivre. Sa femme, son fils, son travail, sa maison, qu’il s’agit tout de même de continuer à payer pour ne plus y vivre. Le pourquoi ne sera jamais explicité par le film, en cela d’une louable concision et d’un réalisme d’airain : peu nombreux sont ceux qui le savent.
Accepter l’avilissement
Le comment, en revanche, est mieux servi. Comment, surtout, Jacques Blanchot devient un chien. Assez simple. Il suffit de croiser le chemin d’un Belge sadique qui fait profession d’en vendre (Bouli Lanners), de s’endetter pour payer à votre fils un chihuahua qui ressemble à Hitler, de rentrer à la maison sans l’animal qui s’est fait, en chemin, ratatiner par un 15-tonnes, d’entendre votre femme (Vanessa Paradis, impavide) vous expliquer qu’elle développe une allergie cutanée sévère à votre présence, de retourner chez le marchand pour essayer de vous faire rembourser les cours de dressage hors de prix qu’il vous a fait débourser à l’avance, d’accepter, in fine, les conditions de plus en plus démentes qu’il vous impose pour soi-disant vous rendre service, et la messe sera dite.
C’est une Passion qui s’inaugure alors. Faire le chien, comme on ferait le mort. Accepter l’avilissement, la bêtise, la cruauté du monde et des hommes (et des femmes, sauf le respect de #metoo), avec un exemplaire abandon de soi-même et de grands yeux confiants qui défient sans ciller le Mal triomphant sur la Terre.
CHIEN de Samuel Benchetrit | Teaser 1
Durée : 00:38
Chien, de Samuel Benchetrit, avec Vincent Macaigne, Bouli Lanners, Vanessa Paradis (Fr, 2018, 95 min.) www.ocs.fr/programme/chien