Donald Trump, le 5 février à Washington, lors de son discours sur l’état de l’Union. / DOUG MILLS / AFP

Face au Congrès, le président américain Donald Trump s’est posé mardi 5 février en rassembleur, malgré les tensions politiques à Washington, alimentées par ses propos enflammés sur l’immigration. « Le programme que je vais présenter ce soir n’est ni républicain, ni démocrate. C’est celui du peuple américain », a-t-il ainsi déclaré. Donald Trump est affaibli après avoir perdu son pari sur le « shutdown », et semble privé de leviers pour imposer le financement de son « mur » de séparation avec le Mexique. Mais s’il parvient à élargir sa base, il conserve des chances sérieuses d’être réélu en 2020.

Lors d’un tchat, Gilles Paris, correspondant à Londres, a répondu à vos questions.

Mélissa : A votre avis, M. Trump aura-t-il assez de pouvoir pour construire son fameux mur ? A-t-il une chance ? Si non, qu’engendrerait cette défaite ?

Gilles Paris : Les options sont limitées pour lui. Un second gel partiel du gouvernement fédéral à partir du 15 février semble exclu. Les républicains n’en veulent pas et il a été très coûteux pour le taux d’approbation du président. Les démocrates, après l’avoir contraint à céder au bout de 35 jours, ne sont pas disposés à lui faire cette faveur. Une déclaration d’état d’urgence nationale qui permet de contourner le Congrès susciterait également des remous chez les conservateurs, prompts à dénoncer les abus de pouvoir supposés de Barack Obama. Il ne l’a même pas mentionnée mardi soir, même s’il n’en a aucune autre à sa disposition.

Tri-lateralité : Donald Trump a-t-il des alliés au Mexique pour l’achèvement de son projet de mur ?

G. P. : Aucun à ma connaissance, il a beau assurer que le nouvel accord de libre-échange avec le Mexique et le Canada contribuera à son financement a posteriori, en quelque sorte, ce que nient tous les spécialistes de ces échanges, les autorités mexicaines ont toujours assuré qu’elles ne verseraient pas le moindre peso.

Victor : J’ai entendu que Trump voulait se présenter pour un second mandat. Si tel est le cas, qui décide, coté républicain, s’il y aura une primaire ? Car beaucoup de républicains n’ont plus l’air de croire en lui…

G. P. : Il entend effectivement se représenter, un comité de campagne est déjà constitué et une levée de fonds était d’ailleurs organisée mardi soir pendant le discours sur l’état de l’Union, au Trump Hotel de Washington. Des doutes commencent à s’exprimer au sein des républicains, mais ils concernent surtout la politique étrangère, qui n’est jamais la matière principale d’une campagne. L’épreuve de force sur le gel du gouvernement a montré que la majorité de la base républicaine était derrière le président, l’incitant à ne faire aucun compromis. Toutefois, si son taux d’approbation restait englué autour de 40 % et si une majorité de personnes interrogées exprimait sa volonté de ne pas voter pour lui, un espace pourrait s’ouvrir pour une primaire républicaine. Avec cependant très peu de chances de l’emporter pour un éventuel rival.

MongoBeti : Compte tenu de la division actuelle de la société américaine, en partie due à l’élection de Donald Trump, quelles sont ses chances d’être réélu ?

G. P. : Elles ne sont pas négligeables, mais il doit pour cela être capable d’élargir tout de même sa base. Rappelez-vous qu’il ne s’agit pas d’un suffrage universel direct. En théorie, on peut l’emporter en obtenant une minorité des suffrages, pourvu qu’ils soient exprimés au bon endroit. Donald Trump l’a fait en gagnant à la surprise générale le Wisconsin et le Michigan, ainsi que la Pennsylvanie où on l’avait vu monter dans les dernières semaines. Aux élections de mi-mandat, ces trois Etats ont plutôt rebasculé côté démocrate, même s’il est délicat de comparer des élections différentes. Une chose est sûre : son adversaire constituera certainement moins un repoussoir pour les électeurs républicains et indépendants qu’Hillary Clinton. En revanche, la mobilisation démocrate sera incomparablement plus forte qu’en 2016, où une forme de lassitude, après les deux mandats de Barack Obama, et surtout la conviction que l’élection était déjà gagnée avaient dominé.

Under33 : Est-ce que ce discours signe un retour à la politique néoconservatrice ?

G. P. : Donald Trump constitue une négation assez systématique du néoconservatisme. Il est unilatéraliste, absolument pas intéressé par la propagation des valeurs démocratiques et s’adapte très bien aux pouvoirs autoritaires, qu’il traite généralement avec respect. Il mentionne si peu la démocratie et la liberté qu’il surprend quand il les mentionne pour le Venezuela. Dans ce cas de figure, il adopte par ailleurs une approche multilatérale en s’assurant d’un soutien interaméricain assez consistant avec le groupe de Lima, qui tranche avec sa pratique normale des dossiers internationaux, tous placés sous le signe de l’« America first », and last.

Victor : Au vu des déclarations que l’on entend sur les investigations, notamment de Mueller, Trump pourra-t-il finir son mandat ?

G. P. : Personne ne sait où Robert Mueller est parvenu, de quelles informations il dispose, et de leur degré de dangerosité pour le président. Il est donc impossible de tirer, à ce stade, la moindre conclusion. Donald Trump est aussi affligé par d’autres enquêtes, sans doute peu propices à une procédure de destitution (l’achat secret du silence d’anciennes maîtresses présumées, d’éventuels conflits d’intérêts, notamment autour du comité d’investiture) mais qui seraient très préjudiciables pendant une campagne. Hillary Clinton peut en témoigner alors que le FBI n’avait pourtant trouvé rien de probant dans l’affaire de son serveur et de sa messagerie privés.

Sara : Quels retours à la suite de la traditionnelle réponse des démocrates au discours sur l’état de l’Union ?

G. P. : Elle intéresse toujours moins que le discours du président, ce qui est normal. Stacey Abrams, qui lui a donné la réplique au nom des démocrates, a surtout mis l’accent sur ce que Donald Trump a évité de mentionner, soit parce que c’était préjudiciable pour lui (le gel, shutdown), soit parce qu’il considère qu’il ne s’agit pas de sujets, comme les atteintes au droit de vote ou l’environnement. Donald Trump suscite un tel rejet chez les démocrates qu’elle jouait sur du velours. Un débat interne sans doute vigoureux va s’ouvrir chez les démocrates à l’occasion de la longue primaire d’investiture qui est déjà lancée, mais Stacey Abrams s’est bien gardée d’y faire allusion.

Stacey Abrams, le 5 février 2019 à Washington, lors de sa réplique à Donald Trump. / REUTERS TV / REUTERS

Christophe : Le choix d’une « non élue » pour la réponse démocrate est-il courant ? Ou bien est-ce un fait rare qui conforte l’aura particulière de Stacey Abrams, ou encore juste un moyen de garantir une certaine neutralité face à la primaire approchante ?

G. P. : Le Parti démocrate ne pouvait en effet exprimer une préférence avant même l’ouverture des débats de la primaire d’investiture en portant son choix sur un ou une candidate, déclarée ou potentielle. Il a retenu Stacey Abrams pour cultiver sa notoriété alors qu’elle pourrait défier un républicain sortant pour un siège au Sénat, en 2020, dans son Etat de Géorgie. La carte électorale du renouvellement sénatorial n’offre pas beaucoup de pistes aux démocrates pour espérer gagner les sièges dont ils ont besoin pour redevenir majoritaires.