Hugues Ratsiferana (à gauche) lors de l’inauguration de l’AMDP, en septembre 2016, à Paris. / AMDP

S’agit-il d’une affaire isolée ou du premier cas sur une liste appelée à s’allonger ? Le directeur général de l’Agence malagasy de développement économique et de promotion de l’entreprise (AMDP), Hugues Ratsiferana, a été interpellé samedi 2 février et placé en détention à la maison d’arrêt d’Antanimora, à Antananarivo, où il attend son procès prévu le 12 février. Les circonstances de cette arrestation suscitent d’autant plus de questions que M. Ratsiferana avait fait la « une » de l’actualité il y a quelques mois pour avoir signé un projet d’accord de pêche de plusieurs milliards de dollars avec la Chine.

L’ancien conseiller spécial d’Hery Rajaonarimampianina, chef de l’Etat sortant écarté de la course à la présidentielle dès le premier tour de l’élection en novembre, est accusé de vol par l’actuelle présidence de la République, qui s’est constituée partie civile à travers la Direction de la législation et du contentieux. Il lui est reproché d’avoir tenté de dérober le mobilier de bureau et les équipements informatiques de l’AMDP dans le bâtiment mis à la disposition de l’association par l’ex-présidence, lors d’un déménagement organisé en catimini durant le dernier week-end de janvier. Le butin en jeu est composé d’une trentaine d’ordinateurs, sept imprimantes, quelques dizaines de chaises à roulettes, fauteuils, armoires et tables de bureau.

Contestation des faits

« Lorsque nous avons pris nos fonctions à la présidence, nous avons constaté la gabegie et le détournement des biens publics. Plusieurs véhicules appartenant au parc du palais n’avaient pas été restitués. Nous avons donc décidé d’engager une démarche de protection et de rétablissement du patrimoine de la présidence, explique-t-on dans l’entourage du nouveau chef de l’Etat Andry Rajoelina, en annonçant qu’un inventaire est en cours dans tous les bâtiments relevant de la présidence. Plusieurs personnes ont déjà rapporté ce qu’elles s’étaient approprié en quittant leur fonction. » Selon la gendarmerie nationale, dont l’unité mixte avec la police a été chargée de l’enquête, M. Ratsiferana et le responsable logistique de l’association sont les seuls à faire jusqu’à présent l’objet d’une procédure judiciaire.

Hugues Ratsiferana conteste les faits qui lui sont reprochés. « A la fin du mois de janvier, l’intendant général de la présidence a demandé au directeur de l’AMDP de libérer les lieux pour que des membres de l’équipe de M. Rajoelina puissent s’installer. M. Ratsiferana a donc organisé rapidement un déménagement avec le matériel qui fait aujourd’hui l’objet du litige. Ce matériel n’appartient pas à l’Etat. Il provient de dons », expose son avocat Me Volahasina Andriamanalina. Le problème est que peu de ces généreux donateurs qui, hier aimaient s’afficher avec l’influent directeur de l’AMDP, sont aujourd’hui prêts à assumer leur soutien.

Seule l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) a fourni une attestation. M. Ratsiferana avait piloté l’organisation du Sommet de la Francophonie à Antananarivo en juillet 2016 et c’est dans les locaux de l’OIF à Paris que la création de l’AMDP, une association privée à but non lucratif, avait été annoncée au mois de septembre suivant. Sa mission : « Développer par tous les moyens appropriés des projets prioritaires et stratégiques pour le développement de Madagascar » en faisant appel à des « investisseurs et partenaires internationaux », comme le précisent ses statuts.

Généreux donateurs

Sur le document fourni à l’administration par M. Ratsiferana pour alléguer de sa bonne foi, plusieurs grandes entreprises locales comme le groupe Rajabali ou le groupe Taloumis ont ainsi fourni gratuitement du matériel pour meubler les trois étages de l’association. Des sociétés chinoises comme Huawei et China Railways figurent également sur la liste.

L’ancien conseiller spécial de M. Rajaonarimampianina est le signataire du très controversé projet d’accord de pêche avec un consortium d’entreprises chinoises. Le protocole qui prévoit un investissement de 2,7 milliards de dollars (près de 2,4 milliards d’euros) avait été révélé en marge du Forum sur la coopération sino-africaine, le 5 septembre 2018 à Pékin. Cette annonce avait déclenché de vives critiques de la part des organisations de la société civile qui pointaient les risques d’accaparement des ressources halieutiques, alors que le pays souffre d’un important déficit alimentaire.

Le ministre des ressources halieutiques et de la pêche, Augustin Andriamanananoro, tenu à l’écart du deal, s’était lui-même empressé de déclarer que ce contrat n’engageait ni le gouvernement ni l’Etat malgache. Andry Rajoelina vient de lui confier le poste de directeur des projets présidentiels. Que deviendra le sulfureux projet ? Et quel est l’avenir de l’association destinée à attirer les investissements étrangers ? Le nouveau pouvoir n’a pour l’instant pas dévoilé ses intentions. Mais avec l’arrestation de M. Ratsiferana, les investisseurs auront compris que l’AMDP n’est plus la bonne porte pour faire remonter leurs messages jusqu’au palais.